Chronique

Sandro Zerafa

Urban Poetics

Sandro Zerafa (g), Laurent Coq (p), Yoni Zelnik (b), Karl Jannuska (d)

Si pour vous le qualificatif « urbain » évoque grisaille, mécanique et tubulures suintantes, le titre de cet album pourrait bien vous induire en erreur. Chez Sandro Zerafa en effet, rien de glauque, rien d’oppressant ; au contraire, « sa » ville est foisonnante de vie, truffée de découvertes et, surtout, empreinte d’une bonne humeur sereine. « Light-Hearted », comme l’annonce le titre du quatrième morceau.

Cette bonhomie, cet appétit de couleurs et de sons se retrouvent dans un quartet à la complicité évidente d’où semblent bannies les crises d’ego. Il est vrai que les quatre musiciens ont derrière eux une longue histoire de collaborations croisées : ce genre de parcours ne se réalise pas sans une forte entente artistique et personnelle. Chacun apporte sa pierre et ne la laisse pas tomber sur les pieds des autres. Laurent Coq fait dans la dentelle au bon sens du terme : précis, ouvragé mais sobre et exigeant. Yoni Zelnik joue la subtilité, servi pour une fois par une prise de son et un mixage [1] qui lui rendent sa juste place. Quant à Karl Jannuska, lanceur de dynamiques et coloriste à la fois, il déploie une étonnante fluidité de jeu et une mobilité de tous les instants.

Les compositions de Zerafa sont délicates, ciselées, voyageuses. Sa ville, c’est évidemment New York, la ville par excellence : on l’entend au coin de chaque harmonie, de chaque bifurcation thématique. C’est au plus new-yorkais des pianistes vivant en France qu’il confie la couleur jazz de la ballade « Grey Light » version 1 (plage 6) ou de « Float » et les climats changeants de la plupart de ses morceaux.
Mais quand il intitule une composition « Milton », on suppose avec raison qu’il s’agit plus de Nascimento que de Friedman. La « touche » brésilienne se manifeste sur le plan instrumental par un souci constant du son et du toucher - à la guitare électrique comme à l’acoustique sur la seconde version de « Grey Light » (plage 11), mais aussi d’un placement rythmique très particulier : cette infime oscillation des appuis qui danse sans pour autant être « swing ». Dans les compositions, c’est aussi de la bossa et de ses descendances que proviennent les enchaînements harmoniques pas du tout évidents (l’introduction de « Urban Poetics », « Light-Hearted » ou l’amusant « Goose »), la rythmique et le riff de basse de « Blurred Vision »…

Si les titres rapides (« Goose », « Bullfrog », « Slipway »…) paraissent, en studio, plus techniques que sur scène, où s’affirme mieux leur caractère jouissif et immédiat, d’autres (« Light-Hearted », les deux « Grey Light ») mettent en valeur la qualité de son et l’homogénéité de la formation. Du travail d’orfèvre.

par Diane Gastellu // Publié le 31 octobre 2011
P.-S. :


Sandro Zerafa et Karl Jannuska sont membres du collectif Paris Jazz Underground

[1Prise de son signée La Buissonne, Nicolas Baillard et Gérard de Haro, bien évidemment. Le mixage, lui, a été confié à Katsuhiko Naito, « vieux » compagnon de route de Laurent Coq.