Malta Jazz à l’ombre des remparts 🇲🇹
Un des plus anciens festivals d’été du sud de l’Europe, dans une splendide cité.
C’est au milieu de la Méditerranée, sur l’archipel de Malte, si convoité au fil de l’histoire, que se tient depuis 1991, en sa capitale de La Valette, un très attrayant festival de jazz pour ponctuer formidablement l’été.
Dédié cette année à Sammy Burgo, grand saxophoniste et grande figure du jazz maltais décédé en février dernier, et à Bud Powell, ce cabossé du jazz américain, dont on fête cette année le centième anniversaire de la naissance, le festival s’est déroulé au 8 au 13 juillet, entre le City Theatre et Ta’Liesse (Quarry Wharf), sur une scène installée pour l’occasion sur les quais, au pied des remparts. Varié et prometteur, le programme propose des jam sessions, de Lunch Time concerts, ainsi qu’un concert dédié aux enfants.
Si on débarque en touriste, ignorant mais ouvert à tout, on regrette un peu que le festival, mélangeant intelligemment références locales et internationales et offrant un programme allant à la rencontre d’un public familial autant que connaisseur, n’ait pas une campagne d’affichage plus visible.
D’autant plus que le festival est fier de s’affirmer comme l’un des plus anciens festivals d’été du sud de l’Europe. Il a lieu dans une splendide cité au fabuleux héritage et inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour ces raisons, cet évènement artistique et culturel maltais mérite non pas d’être considéré comme une habitude juste suivie par un public localement fidèle, mais comme un rituel, incontournable, rassemblant les visiteurs d’un jour, ou, de tout un séjour. Si on ne vient pas spécialement pour ce festival, une communication plus offensive localement donnerait une opportunité merveilleuse à un public venu du monde entier et sans cesse renouvelé chaque saison, de laisser transporter par quelques ébouriffantes sessions de jazz - entre deux cocktails d’été. La programmation et le graphisme des supports de communication, si sexy et énergique, l’auraient vraiment mérité !
- Photos by Owen Michael Grech, during the Malta Jazz Festival 2024, produced by Festivals Malta
Et pour cause…
Arrivée en milieu de festival, j’avais déjà « loupé » Daniele Cordisco Trio au concert d’ouverture, Tom Ollendroff Trio invité à l’occasion de sa tournée européenne profitant de la sortie de son album Open House, et Philippe Soirat Quartet, une pointure française du jazz post-bop, tous programmés au City Theatre en début de semaine. Rien d’étonnant concernant le lien entre le festival et Paris car son directeur artistique Sandro Zerafa (également guitariste) vit et joue dans la capitale française…
En revanche, découvrir la programmation par le concert de la belle voix brésilienne de Mônica Salmaso a permis de se connecter aussitôt avec l’esprit familial, ouvert et généreux du festival.
Accompagnée de ses musiciens Nelson Ayres au piano, avec qui elle a signé certains de ses albums, et Teco Cardoso aux bois, Mônica Salmaso était très honorée de revenir à l’occasion d’une tournée à Malte où elle avait été invitée une première fois il y a de nombreuses années. Une standing ovation pour cette artiste tour à tour facétieuse et émouvante s’adressant au public, tant en anglais qu’en italien et chantant en portugais. Au programme de ce concert : des chansons et mélodies de Tom Jobim et Vinicius de Moraes, en passant par Villa-Lobos. Le trio à la joie communicative a exploré le répertoire brésilien de la chanson avec un style varié mêlant samba et ballade nostalgiques, s’accompagnant parfois d’un lamellophone ou d’un simple métronome. Reprenant l’emblématique « Gracias a la vida », Mônica laisse la salle suspendue avec le touchant « Noite » et salue par le très applaudi « Pau de Arara ».
Le lendemain, direction la scène en plein air au bord de l’eau, magiquement posée face aux fortifications des paisibles villes de Borgo et Vittoriosa, situées en face et se découpant à l’horizon de la douceur du soir.
Le festival fait honneur aux références du jazz maltais : d’une part, Dominic Galea Jazztet, à l’occasion de la sortie de l’album Amblers en hommage à Sammy Galea, père de Dominic Galea (au piano) devant un public hélas un peu trop clairsemé. On applaudit le saxophone et la clarinette d’Alan Barnes ainsi que le bel hommage à Bud Powell avec la reprise de « Hallucinations ».
Et d’autre part Jes Psaila, The Hinge Project, aux accents assez pop-rock avec un jazz fusion plutôt convaincant. À (re)découvrir dans leur dernier album Casatum sorti en avril 2024.
- Photos by Joe Smith, during the Malta Jazz Festival 2024, produced by Festivals Malta
Le feu arrive ensuite… D’abord avec le Walter Smith III Quartet… L’énergie magnétique du piano de Danny Grissett au jeu rapide, triomphant et conquérant, avec Bill Stewart à la batterie, virtuose et inébranlable, et, Walter Smith, royal au saxophone ténor, puissant, ample, cool, confiant avec des solos virtuoses. Après le très beau « Showing », on est emporté par des duos piano/sax presque célestes et notamment par le « Amelia Earhart Ghosted Me » issu de son tout dernier album Return to Casual. Ce n’était que leur premier jour de leur tournée. On imagine la suite…
La fête aussi… Something Else ! A Soul Jazz Revue, avec Dave Kikoski au piano qui ouvre le set de sa joie pure si légendaire. Avec notamment « The Chicken » en ouverture, on se régale des solos de Jeremy Pelt à la trompette ou de Vincent Herring au sax. On reste bluffé par un « Spirit of the Train » endiablé et lancé à toute vitesse, par le joyeux solo de trompette dans « It Doesn’t Matter » et la reprise de « Naima », thème favori de Coltrane.
- Photos by Joe Smith, during the Malta Jazz Festival 2024, produced by Festivals Malta
L’émotion enfin… avec Chief Xian aTunde Adjuah et ses trompettes coudées façon Dizzy Gillespie. Cet artiste multi-primé, originaire de la Nouvelle-Orléans, avec déjà une douzaine d’albums à son actif, précurseur du Stretch Music, a donné à ce festival un de ses moments de grâce. Trompette tantôt puissante tantôt d’une irrésistible tendresse à laquelle répond une guitare à la force tranquille, presque méditative. Un jazz mystérieux et envoûtant par l’amplitude sonore et rythmique. Un musicien, artiste sensible, qui partage avec son public par ses notes et ses mots sincères, justes et touchants, l’essence même de son art. Rare et hypnotique.
Pas de point final sans une mention spéciale pour le Trio Grande, trio multinational avec le Britannique Will Vinson au saxophone et aux claviers, les Israéliens Ziv Ravitz à la batterie et Gilad Hekselman, à la guitare. Connu pour ses lignes contrapuntiques, sa guitare se révèle déjantée et frénétique sur une reprise de « Strasbourg/Saint-Denis ». Un jazz fusion aux accents éthérés et joyeux à la fois, et aux envolées blues. Cool et planant.