Sur la platine

Solal fait son cinéma

Carte du Tendre de quelques musiques de films écrites par Martial Solal


Pour beaucoup, Martial Solal et le cinéma, voire l’image, se résume à A bout de Souffle. Il est vrai que le pianiste a durablement marqué le cinéma avec la musique du chef-d’œuvre de Godard, avec des musiciens comme Daniel Humair et Beb Guérin. Mais si le thème de « New York Herald Tribune » et sa rythmique légère reste dans les mémoires, avec le vibraphone de Michel Haussère et la « Poursuite » nerveuse qui lui fait suite, ce n’est pas et de loin, la seule Bande Originale de Film (BOF) du pianiste. Petit tour d’horizon, en manière de carte du Tendre, qui hélas n’a que trop peu de témoignage en disque. Mais rien n’empêche de revoir les films. Au contraire !

Il y a d’abord Le Testament d’Orphée [1], le dernier film de Jean Cocteau, sortie en 1960. Evidemment, la musique est de Georges Auric, mais dans le deuxième tiers du film, alors que cet incroyable manifeste esthétique met en scène une descente dans les catacombes à la rencontre de Minerve, un thème de jazz débute. Deux « amoureux-intellectuels » écrivent des poésies en s’enlaçant, chacun par-dessus l’épaule de l’autre, avant que des enfants viennent mettre leur autographe dans la bouche multiple de l’idole qui rend n’importe qui célèbre pour quelques minutes. Non content de renvoyer Warhol à son statut de plagiaire, c’est une pique contre l’époque que met en musique Martial Solal en un court instant, une bulle de jazz qui marque le cinéma.

Autre apparition discrète, dans Deux Hommes à Manhattan de Jean-Pierre Melville. Si la musique est confiée à Christian Chevallier, c’est Martial Solal qui offre une fin de velours à ce film noir qui se déroule comme un long travelling dans des rues de New-York baignées de jazz, avec encore Beb Guérin à la basse. C’est, paraît-il, ce qui lancera la carrière de Martial Solal dans la musique de film. De Léon Morin, prêtre de Melville encore, aux Acteurs de Bertrand Blier, la liste est copieuse, sans pour autant cannibaliser le reste de sa carrière.

Même si pour beaucoup de gens, À bout de souffle reste totémique, on note parmi les films moins connus, et qui marquent pourtant par la musique et ce qu’elle représente, Match contre la mort, par Paul Bernard Aubert. C’est un film oublié (non sans raisons), sur un jeu télévisé présenté par Pierre Bellemare, sur fond de kidnapping. C’est surtout la collaboration entre Martial Solal et André Hodeir pour une BOF nerveuse (il est question de course automobile) en grand orchestre. C’est justement « Montlhéry », joué tambour battant avec un Solal au piano défiant la gravité, qui retient l’attention. À bout de souffle !

Et que serait un panorama de la musique fonctionnelle, liée à l’image, sans un petit trésor qui fait le bonheur des collectionneurs ? Il avait été chroniqué ici, il est réapparu sur Bandcamp à l’occasion du Disquaire Day. Il s’agit de Locomotion, petite sucrerie électrique avec Henri Texier à la basse électrique et Bernard Lubat. Solal au piano électrique (!) compose quelques gimmicks pour une émission de sport, dans une direction jazz-rock assez inédite. Bien sûr, c’est très anecdotique. Rien à voir avec le reste de sa carrière si diverse. Mais le luxe se cache parfois dans les détails, et dans le motif répétitif de « Un train vaut mieux que deux tu l’auras »… Le mouvement, toujours.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 novembre 2020

[1On vous laisse chercher, le film est visible sur les internets…