Chronique

Roberto Ottaviano

Resonance & Rhapsodies (Extended Love & Eternal Love)

Roberto Ottaviano (ss), Marco Colonna (cl), Giovanni Maier, Danilo Gallo (b), Alexander Hawkins, Giorgio Pacorig (p), Hamid Drake, Zeno de Rossi (dms)

Label / Distribution : Dodicilune

On se souvient qu’avec Eternal Love, le saxophoniste Roberto Ottaviano criait son amour éperdu, inconditionnel au jazz, à la musique créative et séminale qui remue les tripes et fait voyager l’esprit. L’Italien, fin connaisseur de la musique de Steve Lacy entre autres, a comme instrument de prédilection le saxophone soprano, dont il use avec une chaleur et une fougue rares, ainsi qu’en témoignent certaines envolées plutôt lyriques dans « Promise », le premier morceau d’un double album chaleureux et explosif. Avec Resonance & Rhapsodies (Extended Love & Eternal Love), c’est à la fois une mise en abyme et une prolongation de l’album en quintet paru chez Dodicilune en 2019. À bien des aspects, la base reste la même : on retrouve les fidèles Marco Colonna aux clarinettes et le pianiste Alexander Hawkins au piano, colonne vertébrale pleine de subtilité comme le souligne la clarté de « Revelation ». Il y a dans les interactions entre les musiciens une simplicité galvanisante qui tient tout autant de l’excellence et de la complexité lacyenne (on le retrouve nettement dans « Homo Sum » également) que de la force mystique de Coltrane.

Mais ce qui a changé, c’est que le quintet est étendu, passant à huit avec le doublement de tous les instruments rythmiques. L’arrivée de choix, s’il fallait en souligner une, c’est celle du grand Hamid Drake en soutien de Zeno de Rossi. Sur un morceau comme « Homo Sum », où les soufflants se jouent des phrases musicales comme autant de lignes brisées, les deux batteurs agissent comme des accélérateurs de particules. Chacun apporte une couleur, une facette différente qui donne à Extended Love une teinte particulière. C’est un panorama qu’offre cet album, mais la baie a été remplacée par de petits morceaux de verre agencés comme un puzzle, avec une visée kaléidoscopique. Ainsi « Dedalus  » où le ton plus abstrait offre à Danilo Gallo, qui vient ajouter une basse supplémentaire au travail de Giovanni Maier, l’occasion d’aller encore plus profondément dans la texture du son. Il y a dans la musique de Roberto Ottaviano un solide ancrage dans le jazz, qui sait même devenir électrique au besoin grâce au Rhodes de Giorgio Pacorig, mais également une grande culture classique qui se perçoit dans Eternal Love Resonance & Rhapsodies, la seconde partie de cet album.

La formation revient alors au quintet. Seul Pacorig a remplacé Hawkins, et la musique agit comme un précipité de ce qui a été proposé précédemment. Sur « Ijo Ki Mba Jo », ce sont la basse de Maier et le piano qui encadrent un propos très construit où clarinette et saxophone bataillent ferme, profitant d’une rythmique particulièrement tendue ; dans « To The Masters », joliment nommé et se présentant comme un hommage global à toutes les figures tutélaires qui apparaissent, furtives, dans tous les recoins de l’album, priment le sentiment aérien et une grande émotion, sans oublier une humeur joyeuse et primesautière qui n’est pas sans évoquer Laurent Dehors (« Mad For Misha »). Avec cet album, Roberto Ottaviano frappe un grand coup et vient nous rappeler, s’il en était besoin, la grande vigueur du jazz transalpin lorsqu’il retrouve ses accents les plus free.