Chronique

SuPerDog

Florent Briqué (tp, bugle), Guillaume Nuss (tb), Fred Gardette (bs), Christophe Telbian (dms).

Mais qu’ont donc tous ces jazzmen à célébrer King Crimson, ce groupe emmené depuis bientôt 50 ans (le premier album, In The Court Of The Crimson King, a vu le jour en 1969) par le guitariste Robert Fripp ? Un phénomène musical dont la belle santé s’est encore manifestée tout récemment, trois batteurs à l’appui, lors d’une tournée à guichets fermés pour son passage parisien. Qui a suivi l’histoire de cette formation hâtivement classée dans la catégorie rock progressif ne saurait s’étonner de tous ces désirs d’en célébrer le répertoire. Car cette musique, articulée en grandes époques parfois espacées de longs moments de silence, est profondément originale et diverse, tour à tour violente et symphonique, avec la faculté de donner l’impression d’une avancée implacable. King Crimson, c’est un terreau d’une richesse peu commune. Étrangement, sa musique n’a pas fait école, sans doute parce que trop marquée par la personnalité de son impénétrable démiurge et peut-être aussi parce que toujours bien vivante, nul n’éprouve le besoin de s’en revendiquer l’héritier. Autant la laisser vivre par elle-même tant qu’elle existe. On ne trouve pas en effet de groupes crimsoniens dans le sillage de Fripp, tout au plus – et c’est déjà beaucoup – des musiciens qui lui vouent une admiration sans bornes. Il faudra néanmoins citer un autre insoumis, Richard Pinhas, qui a depuis longtemps su faire fructifier le patrimoine des frippertronics à travers sa musique. Ou encore Médéric Collignon et son Jus de Bocse en 2012 avec un hommage malicieusement nommé À la recherche du Roi Frippé, un disque qui avait de surcroît valu à notre agité du cornet le plaisir de recevoir les félicitations de Fripp lui-même, ainsi que de Bill Bruford, l’un des batteurs les plus marquants de l’aventure.

Et voilà que de nouveaux trublions au nom de SuPerDog se lancent un défi du même genre. Mais pour corser la difficulté, c’est une formule sonore on ne peut plus éloignée de la matrice, fortement électrique, qu’ils mettent en œuvre. Pas de gros son donc, mais plutôt le souffle impétueux de ce qu’on pourrait appeler une mini fanfare et, pour ce qui est du contenu, le choix de laisser de côté ce qui est certainement la phase la plus magistrale du groupe. La période 1972-1974 et sa trilogie de feu : Larks’ Tongues In Aspic, Starless And Bible Black et Red ne fait l’objet d’aucune citation dans ce disque. Ils sont quatre : Florent Briqué (trompette et bugle), Guillaume Nuss (trombone), Fred Gardette (saxophone baryton) et Christophe Telbian (batterie) : avec eux, entre les éclats mêlés du trombone et de la trompette et la vivacité rythmique du duo formé par le saxophone baryton et la batterie, c’est l’idée d’une fête mue par un vrai coup de cœur qui prend forme, c’est le plaisir de s’emparer des thèmes, que ceux-ci appartiennent aux années 60, 80 ou 90, et de les repeindre avec une bonne couche de pétulance qui est leur signature.

Et pour tout dire, on se rend compte que l’exégète crimsonien pourra trouver son bonheur dans des reprises enjouées qu’il ne manquera pas d’identifier - car jamais l’original n’est oublié vraiment - autant que le profane qui, lui, se laissera embarquer par la joie de jouer qui transporte les quatre musiciens. Là est peut-être la marque la plus subtile et la plus malicieuse du respect pour King Crimson, dont on sait que la musique n’est pas d’essence joyeuse : ne pas rester collé aux versions premières, en conserver toutefois la saveur mélodique, avant de les intérioriser, les repenser et les faire resurgir dans un autre langage. Soit le souffle et la percussion comme champ lexical et une expression qui est, à n’en pas douter, celle de l’harmonie, à tous les sens du terme !