Chronique

Stéphane Spira & Lionel Belmondo Hymne au Soleil

Round About Jobim

Stéphane Spira (ts, ss), Lionel Belmondo (dir, arr, fl, ts), Philippe Gauthier (fl), Bernard Burgun (cor), Cécile Hardouin (basson), Thomas Savy (cl, clb), François Christin (cor), Fabien Wallerand (tuba), Sylvain Romano (b) + Glenn Ferris (tb).

Label / Distribution : Jazzmax

Le parcours du saxophoniste Stéphane Spira est plutôt atypique : en effet, cet ingénieur en électronique n’a pas pu se satisfaire d’une vie probablement trop ancrée dans le matérialisme, préférant se lancer dans une aventure beaucoup plus incertaine, celle de la vie de musicien de jazz. Une vie qu’il s’est fabriquée à l’école des clubs et des rencontres initiatiques avec d’autres artistes, parmi lesquels le regretté Michel Graillier. Après First Page, un premier album en quartet publié en 2006, puis Spirabassi en duo avec Giovanni Mirabassi trois ans plus tard [1], Spira rend aujourd’hui hommage à Antonio Carlos Jobim (1927-1994), dont l’influence continue de rayonner dans le monde entier. Quand on l’interrogeait sur ses sources d’inspiration, celui qu’on surnommait Tom répondait : « Le jazz, c’est la moitié de ma musique. Outre le jazz, il y a eu des influences de musiciens et compositeurs classiques tels que Ravel ou Debussy… et les musiques européennes en général. »

On ne s’étonnera donc pas qu’en dédiant ce disque à Tom Jobim, Stéphane Spira ait eu l’idée de faire appel à Lionel Belmondo et son Hymne au Soleil, dont on connaît la faculté presque naturelle à imaginer des ponts entre la musique du début du XXe et le jazz. Quatre disques en font foi [i] - autant de démonstrations convaincantes et baignées d’une lumière très particulière, à la fois céleste et nocturne. Cet orchestre sans piano ni batterie est en effet celui qui, a priori, pouvait constituer l’écrin rêvé pour le saxophoniste désireux de célébrer la musique de Jobim, nourrie « d’amour et de tristesse ».

À l’exception d’une composition de Stéphane Spira lui-même (« Round About Jobim »), le disque puise dans le répertoire de Jobim, en écartant toutefois ses compositions les plus connues - marquées du sceau de la bossa nova - pour mettre en avant une écriture plus directement influencée par la musique classique. On y trouve aussi des pièces de Villa Lobos ou du guitariste brésilien Edu Lobo.

Sans se vouloir péjoratif pour autant, on a envie de dire que Round About Jobim est en tout point conforme à sa déclaration d’intention. Pas de surprise donc, mais comme une évidence : Spira et l’Hymne au Soleil dessinent un monde soyeux, presque linéaire, sans rupture de rythme entre les compositions. Un peintre lui associerait volontiers un paysage sylvestre baigné d’un soleil couchant aux couleurs fauves. Il y a quelque chose de totalement pacifié dans cette musique et, surtout, une vraie humilité de la part du saxophoniste (principalement soprano) dont l’interprétation se maintient dans le registre de la fluidité sereine. Jamais il ne tombe dans le piège d’une surexposition susceptible de nuire à la cohésion d’un ensemble conçu au contraire pour instiller sa musique plutôt que de l’asséner. Il peut déposer chaque thème sur le velours subtilement dessiné par l’ensemble des instruments à vent, se laissant porter par la musique et lui conférant toute la spiritualité requise par un tel hommage.

Round About Jobim est tout sauf une confrontation, on l’aura compris ; plutôt une mise en lumière, un éclairage intemporel dont Lionel Belmondo s’est fait le spécialiste depuis une dizaine d’années. Stéphane Spira s’épanouit tranquillement dans cette source chaleureuse, un brin mélancolique parfois (est-ce là une traduction de ce mélange d’amour et de tristesse qui définit la musique de Jobim ?), accédant ainsi à une maturité que son entrée tardive dans la vie du jazz n’aura pas retardée trop longtemps.

par Denis Desassis // Publié le 29 mai 2012

[1Ces deux disques sur le label BeeJazz

[iHymne au soleil (2003), Influence (2005), Des clairières dans le ciel (2011), Clair obscur (2011), tous publiés chez B-Flat Recordings.