Swedish Jazz Celebration
La sixième édition du Swedish Jazz Celebration a eu lieu du 24 au 28 mars 2009 à Göteborg. Un festival riche et ouvert, centré sur le jazz suédois.
Créé en 2004, le Swedish Jazz Celebration est centré sur le jazz suédois. Ce festival nomade a posé ses bagages trois fois à Stockholm depuis sa création, puis à Malmö en 2005 et Luleå en 2007. Cela lui vaut l’intérêt des médias locaux. C’est à Göteborg que l’édition 2009 a eu lieu, du 24 au 28 mars. Très bien accueilli par l’équipe du festival et les membres de l’Institut suédois à Paris, notre « envoyé spécial » nous fait part de ses impressions et découvertes.
Le jazz et Göteborg
Pour sa dernière édition en date, le SJC s’est installé dans la deuxième ville suédoise, située sur la côte sud-ouest, et qui compte plus de 500 000 habitants.
En France, que connaissons nous de Göteborg ? Pour les sportifs, c’est le site des Championnats du Mmonde d’Athlétisme de 1995 où le Britannique Jonathan Edwards bat deux fois son propre record du monde de triple saut et devient le premier spécialiste de la discipline à dépasser les 18 mètres. Les europhiles penseront plutôt au Conseil européen de Göteborg, qui a étendu les objectifs de la stratégie de Lisbonne à l’environnement et au développement durable en 2001. Et pour ses fans, le groupe ABBA comptait un « gothembourgeois » en la personne de Björn Ulvaeus…
A première vue, le lien avec le jazz n’est pas flagrant. Pourtant Göteborg - qu’on surnomme « Little Amsterdam » car elle a été construite au XVIIème siècle par les Danois à partir de des briques importées de Hollande – a laissé son empreinte dans l’histoire du jazz suédois. Tout d’abord, son port le point d’entrée de tous les musiciens américains qui ont foulé le sol du pays : Louis Armstrong en 1933 [1], Alice Babs et Duke Ellington en 1939, plus tous les grands, de Count Basie à Artie Shaw par la suite. Ensuite, la violoniste gothembourgeoise Eva Paley fut la première jazzwoman suédoise et le saxophoniste Malte Johnson y vivait. Par la suite, la ville accueillera le pianiste Jan Johansson, tristement disparu en 1968, et la chanteuse Monica Zetterlund.
Swedish Jazz Celebration
La Suède - et conséquent sa culture - est un pays isolé. On sent chez les organisateurs [Svensk Musik (l’équivalent de notre SACEM), la Radio Nationale Suédoise (Sveriges Radio AB), RiksKonserter (Institution de l’état suédois organisatrice de concerts) et Musik I Väst (Institution régionale gothembourgeoise pour la musique) ]] la volonté de le désenclaver, de promouvoir les musiciens du cru, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. On note, en marge du festival, des concerts de jazz « jeune public » et un réel effort pour organiser à l’intention des musiciens du pays des résidences musicales notamment encadrées par des artistes reconnus tels que Lena Willemark ou Django Bates, très apprécié ici. Enfin, la Radio Nationale suédoise diffuse des artistes suédois en Europe ainsi qu’au Canada (Vancouver) toute l’année. C’est donc un festival « introspectif », et les musiciens qui y interviennent se confrontent au jugement extérieur : journalistes et organisateurs d’événements musicaux allemands, finlandais, britanniques et français. Les uns viennent pour s’en faire l’écho, les autres pour faire leur marché. Les concerts ont lieu au Röhsska Museet, au théâtre (Göteborgs Konserthuset), au Trädgår’n (salle de concert et restaurant) et au Nefertiti (club de jazz). Avec près de quarante concerts en cinq jours, c’est un festival dense et éclectique, rythmé par des micro-événements. La première soirée était consacrée au « JazzFest » du club Nefertiti, la deuxième à Hoob Records, label de Göteborg, et la troisième à la remise des prix de la Radio (Swedish Radio Jazz Awards, “Jazzkatten” ).
- N. Landgren Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
Une ville en effervescence
La journée du festivalier commence en début d’après-midi au Röhsska Museet, avec de mini-concerts donnés par les étudiants-musiciens de l’Université de Göteborg. Belle surprise : on découvre sur scène de nombreux étudiants-musiciens européens qui font leurs études ici. À noter l’émouvante et mélancolique prestation du groupe de Thomas Markusson - en particulier de la chanteuse Isabel Sörling, très expressive, et du saxophoniste Daniel Bjurling - qui met en musique les contes de l’écrivaine suédoise Astrid Lindgren.
Parallèlement, le musée accueille un happening audiovisuel signé Odd Sneeggen, promoteur du festival pour Svensk Musik. Les premières prestations de CAVE (Collective Audio Visual Experience) – c’est son nom - débutent le 17 mars. Musiciens et vidéastes s’y confrontent, le visuel réagit à la musique. Malheureusement le public ne répond pas toujours présent… C’est plutôt en début de soirée qu’il occupe le terrain, au Konserthuset, où se produisent les artistes confirmés (de notoriété internationale pour certains) ou dont la musique exige une attention particulière. Ainsi le trio reposant du pianiste Jan Lundgren, [2], interprète des standards de la musique européenne mêlant romantisme (parfois à l’eau de rose) et rêverie. Un peu dans le même esprit, le quartet distingué de la jeune Jeannette Lindström livre une prestation plus réussie. La chanteuse se risque avec bonheur à l’improvisation libre, mêlant chuintements, scat et souffle mais reste un peu timide dans les standards [3] malgré longue expérience (six CD). Anna Christoffersson & Steve Dobrogosz, qui forment un duo piano-chant de très haut niveau, interprètent des classiques folk américains [4] tout en restant très « musicalement correct ». Le jeu Dobrogosz est enlevé et inspiré, Christoffersson lui emboîte le pas avec l’âme et l’aisance des grandes musiciennes.
- S. Jernberg - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
C’est aussi au Konserthuset qu’on écoute les musiques les plus exigeantes - pour les auditeurs et les musiciens. D’abord avec l’octet Paavo, qui se caractérise par la collaboration de deux musiciennes : la chanteuse Sofia Jernberg, [5] et la pianiste Cecilia Persson. Paavo livre une musique sans compromis, aux confins du free européen, du rock progressif aux rythmiques zappaïennes et de la musique contemporaine. Sa structure est originale puisqu’on y trouve deux sax baryton, Thomas Backman et Pierre-Antoine Badaroux ou deux clarinettes (Nils Berg et le même Backman). Cette musique atypique et heurtée a déjà trouvé sa place dans les programmations européennes comme celle du festival « 12 Points » en Irlande en 2008. Enfin, il faut évoquer l’énorme concert du tentet Arveheim/Berke Upscale Ten, contrepoint à la musique de de Paavo. Ici les compositions s’appuient sur une très importante cohésion de groupe, pour un jazz mainstream mais moderne : les strates se superposent, naissent et s’éteignent par séquences de cadences changeantes. On applaudit la circulation de la densité dans le groupe, l’investissement de chaque musicien, l’écriture de Johan Berke et Fredrik Nordström.
Happy Birthday Hoob Records
Le Trädgår’n reçoit habituellement des groupes de rock. Pour l’occasion, le public gothembourgeois a droit à des concerts jazz de courte durée – environ quarante-cinq minutes. Ainsi sa première soirée ne présentait pas moins de sept groupes issus de Hoob Records.
L’ambiance est à la fête, la musique dynamique et sincère. Ici le milieu du jazz est minuscule ; il n’est pas rare de voir un musicien figurer dans plusieurs groupes. Ainsi Josef et Fabian Kallerdahl, membres de musicmusicmusic, jouent aussi dans The Stoner et sont très impliqués dans la vie du label.
- K. Amparo - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
Le jeune saxophoniste Linus Lindblom, dont le bassiste, Nils Ölmedal, joue dans aussi dans The Splendor, est discret et un peu mystérieux. Sur The Lines, son premier album chez Hoob, il noue - pour un jazz mainstream post moderne - une belle complicité avec le trompettiste Nils Janson, la section rythmique, bien qu’omniprésente, étant reléguée à l’arrière-plan. Cette collaboration rappelle le tandem Coleman/Cherry, quoique dans un registre différent : Lindblom se concentre sur une esthétique homogène, basée sur les unissons entre sax et trompette, et navigue entre retenue et nonchalance alors que Janson donne dans la puissance. Plus classique, le jazz « chambré », tendance art-déco, de The Stoner, précieux, précis et délicat, met en scène une brillante version de West Side Story à la sauce monkienne. Le jazz solide de The Splendor, emmené par les envolées sûres de la saxophoniste Lisen Rylander [6] et manifestement influencé par E.S.T., mêle gimmicks rock et touches électro mais pour un résultat finalement assez convenu. Enfin, le trio musicmusicmusic, quatre albums chez Hoob et descendant direct d’E.S.T. et de The Bad Plus, fait l’unanimité avec ses compositions cinglantes et fraîches.
Tous ces groupes soignent d’ailleurs une esthétique voisine - impression encore renforcée par le concert de l’excellent quintet Oddjob et son hommage à Joe Zawinul, le lendemain, toujours au Trädgår’n. Multi-instrumentistes mêlant sciemment jazz acoustique et électro, les membres de ce groupe privilégient le côté théâtral [7]. Ce soir-là, on pouvait presque espérer une « Swedish touch » de part de la nouvelle génération. Probablement, là encore, l’héritage d’Esbjörn Svensson.
Les JazzKatten
La remise des prix a lieu le 26 mars au Trädgår’n, en début de soirée. Les gagnants sont Anders Jormin (artiste confirmé), Lisen Rylander (espoir de l’année), Kristin Amparo (chanteuse de l’année), Sofia Jernberg (compositrice de l’année), et Mats Gustafsson (artiste de l’année), qui exécutera au sax ténor un solo court mais poignant mêlant art de la mélodie et maîtrise technique. Le trio de la pianiste d’origine japonaise Naoko Sakata, influencée par Bobo Stenson, est choisie pour représenter la Suède au « Young Nordic Jazz Comets », qui consacre de jeunes groupes nordiques. Enfin, le prix du groupe de l’année va aux Suédo-norvégiens d’Atomic, représenté par son clarinettiste Fredrik Ljungkvist. L’album posthume d’E.S.T. Leucocyte reçoit le prix du meilleur album de l’année. Le témoignage de Siegfrid Loch, directeur du label du groupe ACT qui apporte son soutien au jazz suédois, et la présence de Magnus Östrom, batteur du trio, prouvent que la disparition du pianiste a profondément marqué le jazz suédois et ses représentants. mais on conclura de ce palmarès que les musiques improvisées sont aussi très présentes, dans leurs différentes déclinaisons : Gustafsson pour le free jazz, Sofia Jernberg avec des chants et vocalises venant tout droit de la musique contemporaine, et Atomic, qui fait penser à Aka Moon.
- M. Gustafsson, S. Jenberg, L. Rylander, F. Ljungqvist - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
Au Trädgår’n et au Nef
Le Trädgår’n et le Nefertiti attirent le plus grand nombre. [8] Dans l’un comme dans l’autre, la programmation est large. Elle s’éloigne parfois du jazz. Le 26 mars, le Trädgår’n accueille la batteuse Martina Almgren qui créé la surprise avec un concert de toute beauté en compagnie du Oh Yeah Orchestra. Almgren rs’était vu proposer une création intégrant musiciens locaux (la saxophoniste Lisen Rylander, par exemple) et membres du Oh Yeah. Sa musique mélodieuse, très arrangée, edt riche en couleurs ; en tant que chef d’orchestre, elle se situe entre Maria Schneider et Carla Bley. Quarante-cinq minutes de pur bonheur.
Le quartet de la chanteuse « ACT » Viktoria Tolstoy enchaîne avec un show « entertainement », pas très réussi. Le lendemain, Rigmor Gustafsson donnera une meilleure image du jazz vocal suédois. Son quartet, créatif, joue ; elle lui laisse de l’espace et en tire avantage, elle sait improviser avec lui. Sa sincérité et sa joie qu’elle irradie font de sa prestation un moment agréable et convaincant. En revanche, on est un peu déçu par le quartet de Kristian Brink. Ce jeune et talentueux saxophoniste de 24 ans, inspiré aussi bien par Chris Potter que par Chick Corea, aurait visiblement aimé s’exprimer sur la grande scène du Trädgår’n plutôt qu’au restaurant. Fruit un peu vert à ce jour, Brink est pourtant l’heureux vainqueur du « Young Nordic Jazz Comets » de 2007.
- F. Ljungqvist - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
C’est au Nefertiti qu’ont lieu les soirées les plus branchées. « The place to be » comme nous diront les jeunes Gothembourgeois en fin de soirée… electro oblige ! Little Dragon est un succès. Ce groupe d’Electronica/Dance [9] a fait un tube en Suède l’an passé. Sa musique entraînante et personnelle sied bien à la salle. La chanteuse Yukimi Nagano retient particulièrement l’attention. Elle occupe toute la scène malgré sa petite taille, et, par cette présence charismatique, pousse les musiciens dans leur derniers retranchements. Juste avant, Fanska Trio [10], qui pastiche avec humour le blues et le doo-wap américains, avait mis le club en ébullition. Imaginez du blues chanté en suédois par un chanteur nonchalant à la voix éraillée, accompagné par une section rythmique qui garde son plus grand sérieux. Pince-sans-rire lui aussi, Matti Ollikainen, le pianiste-chanteur, provoque des éclats de rire annonce le titre des pièces : les titres sont traduits de l’anglais vers le suédois par… Babelfish. Très sérieux musicalement, mais avec une pointe d’humour, Third Stream est très attendu. La charismatique Lina Nyberg est connue pour son travail exigeant avec Magnus Lindgren et le big band Brasil Big Bom. Accompagnée par le clarinettiste Fredrik Ljungkvist et le pianiste Klas Nevrin, elle chante « Blueberry Hill », « Sweet Georgie Brown » et des standards de Shirley Horn en montant dans les aigus avec force sifflements et onomatopées, sur fond de musique très improvisée. Le public reste perplexe au premier abord, mais l’humour déride les auditeurs. Au bout de trois morceaux, on cerne aisément à le concept. Les chansons surprennent moins, mais l’essentiel est que Third Stream nous a surpris et transportés dans un monde nouveau.
La vraie découvertee cette soirée du 27 mars restera pour nous Josefine Lindstrand. Cette jeune femme de 28 ans, artiste de l’année 2009 « Jazz In Sweden » prend des risques, compose et arrange. Plus proche de la pop cérébrale que du jazz, quelue chose comme post-jazz, cette chanteuse originale propose un univers plein de groove retenu, de sonorités instrumentales imagées et de poésie.
- J. Lindstrand - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)
Pour terminer en beauté, le festival a invité l’inévitable Nils Landgren Funk Unit. Le show final au Trädgår’n est donc forcéent endiablé. Deux autres groupes ont pourtant contribué à enfiévrer ce samedi soir. Tout d’abord, l’excellentissime Bohuslän Big Band, qui invitait le trompettiste américain Lew Soloff. Ce big band - véritable institution en Suède, et dont le directeur est… Nils Landgren lui-même - comporte quatre trombones, quatre trompettes et cinq saxophones. Haut niveau de jeu, compositions raffinées. Soloff, habitué des formations de Carla Bley et Gil Evans, n’est pas dépaysé puisque les compositions jouées ce soir leur sont justement empruntées, ainsi qu’à John Lewis. Convier un de leurs plus fidèles complices, c’est rendre un bien bel hommage à ces grands compositeurs.
Disons-le, le joyau de la soirée - voire du festival - aura été le quartet d’Elin Larsson. Saxophoniste et flûtiste, elle a littéralement « scotché » tout le monde, public, journalistes, producteurs et organisateurs de festivals. Cette jeune très musicienne surfe très haut sur la vague - la déferlante - qu’elle et son groupe ont créée. Ici, chacun fait partie intégrante de l’aventure, un peu comme dans un groupe de rock. D’ailleurs, Elin Larsson le revendique : elle compose tous les morceaux, mais c’est le groupe qui les joue, et ce collectivement. Très à l’aise avec son instrument, qu’elle enlace ou empoigne, elle semble liée par un serment alchimique avec son tromboniste, Kristian Persson. Leurs jeu respectifs s’imbriquent pour une musique à tiroirs où l’émotion est volontairement mise en exergue. L’Elin Larsson Group est un mélange de jazz enlevé, d’improvisation, de pop, de rock, de beaucoup de générosité et d’énergie. A découvrir absolument.
Centré sur les artistes du pays, la Swedish Jazz Celebration a su proposer cette année une programmation variée et souvent étonnante. La raison principale de sa réussite tient dans le décloisonnement des genres et l’introduction de la nouveauté, le tout dans le respect de la forme - le fond, l’idée même, étant que la musique doit toujours soit plaire, soit surprendre.
Une première évidence : les femmes sont plus présentes que dans les festivals français. Question de culture ? Par ailleurs, c’est du côté des jeunes qu’il faut chercher la force créative du jazz suédois : Oddjob, The Stoner ou The Splendor, mais aussi Josefine Lindstrand, Kristin Amparo ou Elin Larsson, qui ont trouvé leur voie en déployant leur talent sans complexe. D’autres se sont ancrés dans une tradition qui n’est pas forcément la leur… On pense au quartet de l’excellent saxophoniste Håkan Broström, à Kristian Brink ou au jeune trio Daisy à la musique éthérée. En tout cas, rendez-vous est pris l’an prochain à Stockholm pour la septième édition de la Swedish Jazz Celebration, du 14 au 17 avril 2010.
- L. Soloff & Bohuslän Big Band - Photo Stina Gullander (Sveriges Radio AB/Swedish Radio Ltd.)