Chronique

TBPN

Mémoires de Formes

Xavier Camarasa (p), Matthias Mahler (tb)

Label / Distribution : Gigantonium

Tout ceux qui pouvaient penser que TBPN n’étaient qu’une fusion passagère en seront pour leur compte. La rencontre entre le pianiste Xavier Camarasa et le tromboniste Matthias Mahler s’inscrit dans le temps long, leur discussion est touffue et insatiable. Écoutons « Bruit de grenaille » pour nous en convaincre. Le mouvement est lent, presque ténu, la coulisse glisse comme au ralenti avant que le piano ne s’en mêle, en fine ondée répétitive. Il y a de la tendresse et de la délicatesse dans cette échange, même quand la main gauche dessine un trait plus épais et oblige peu à peu le trombone à charbonner davantage. C’est l’histoire de ces mémoires de formes : de courts exercices chambristes qui effectivement gardent une teinte forte, et se propagent tout au long d’’un disque extrêmement cohérent.

Plus loin, le propos devient abstrait, et Camarasa qui excelle dans la préparation fait jouer les cordes altérées et les sons étouffés comme une rythmique étrange, ponctuée par les claquements d’embouchures et les sons explosifs du trombone (« Formants, partie 1 »). Là aussi, il y a un minimalisme complexe et étrangement pétulant, comme si les deux instruments se prenaient à la course, avec ce qu’il faut de chahut. A ce jeu, le plus pugnace reste Mahler, qui semble avoir réponse à tout et surtout provoque sans cesse la surenchère, plus sur le ton du badinage. Tout est sérieux pourtant, et cherche à marquer les esprits. « Strates » est à cette image, d’abord hanté par le silence, à peine troublé par la touche sourde d’un piano étouffé, puis porté par le son profond du trombone, comme un sillon qu’on trace dans la terre meuble.

La voici, la mémoire de forme ; c’est celle du relief et de la persistance. TBPN est une empreinte qui reste et n’est pas balayée par le vent. Le dialogue entre les musiciens est construit avec beaucoup de patience, mais peut se déconstruire aussi vite, prendre une autre entité, voire s’atomiser absolument à la manière des fractales. Un morceau comme « Formants/Déconstructions simultanées » en est en quelque sorte le tout en forme miniature : le trombone comme le clavier se réduisent d’abord à quelques sons à peine perceptibles qui grossissent au fur et à mesure en conservant une partie du motif initial, dilué dans quelque chose de plus large, qui se replie sur lui-même à l’infini. Le disque commence puis finit d’ailleurs sur un mouvement perpétuel, un miroir tendu face à un autre, et qui se reflète en une infinité géométrique. Une expérience très poétique.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 mai 2020
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