Chronique

Theo Bleckmann and the Westerlies

This Land

Theo Bleckmann (voc), Riley Mulherkar (tp), Chloe Rowlands (tp), Andy Clausen (tb), Willem de Koch (tb)

Label / Distribution : Westerlies Records

Théo Bleckmann, chanteur new-yorkais d’origine allemande capé par le show-biz, a toujours exercé un droit de regard critique sur la société étasunienne. Il s’est associé au quatuor à cuivres The Westerlies pour un album conçu comme un recueil de manifestes à l’encontre de la puissance occidentale dominante. D’aucuns parleraient de « wokisme », d’autant plus que les vents, plutôt que d’emprunter à la tradition jazzistique, lorgnent du côté des petits ensembles de rue qui accompagnaient psaumes et cantiques lors du « second awakening », ce sursaut de ferveur protestante à la fin du 19ème siècle.

Au côté de compositions originales, tant musicales que textuelles, figurent trois titres du barde socialiste d’avant-guerre Woody Guthrie (celui qui avait un sticker « Cette machine tue les fascistes » collé sur sa guitare), un titre du chanteur militant anarcho-syndicaliste Joe Hill - fusillé sans preuve par un peloton d’exécution de l’Utah -, ainsi qu’une adaptation d’une chanson antimilitariste de Joni Mitchell chantée originellement a cappella et dotée ici d’un bel enrobage cuivré. Signalons l’adaptation d’un hymne syndical : « Look for the Union Label », émouvant rappel de la puissance des organisations salariales dans les années soixante-dix, avant que l’hydre capitaliste ne les réduise quasiment à néant - ou quand le syndicalisme imposait ses choix jusque dans les actes de consommation (« cherchez l’étiquette syndicale ») !

L’excellence musicale du projet dessert paradoxalement le propos militant, comme si la préciosité des arrangements entre voix et vents limitait la portée mobilisatrice recherchée. On a plus la sensation d’une adresse à des esprits, des fantômes des luttes passées, qu’à ceux qui luttent actuellement (question luttes sociales, les Etats-Unis sont loin d’être dépourvus), qui sont pourtant ceux qui vivent, et inversement. La revendication multiraciale fait tout de même l’objet d’une belle composition par l’un des cuivres et les quelques dissonances sur « Wade in the Water » donnent à ressentir l’horreur de l’esclavage.
Si un supplément d’âme funk eût été le bienvenu (« Une révolution où je ne peux pas danser n’est pas ma révolution » disait Emma Goldman, à l’époque où justement ces brass bands précieux faisaient florès outre-Atlantique), rendons tout de même grâce à ce touchant essai de musique à visée militante : de telles propositions sont trop rares en ces temps fascisants de part et d’autre de l’Atlantique.