Sur la platine

Tomasz Stańko et ses images

Un album de Tomasz Stańko en hommage aux musiques de Krzysztof Komeda, pour des films de Polański


Tomasz Stanko 6tet live

Tomasz Stańko est considéré comme une figure emblématique du free jazz polonais, sinon la principale.
Krzysztof Komeda, pianiste de jazz, est populaire dans ce pays pour ses musiques de film. Roman Polański y a fait une carrière créatrice avant de filer vers l’Occident et ses mille feux. Des trois, seul ce dernier fait encore parler de lui, pas toujours pour ses talents artistiques d’ailleurs.
Ce qui réunit les trois créateurs, c’est un album, l’un des plus réussis de Tomasz Stańko, en hommage aux musiques du deuxième, Komeda, écrites pour des films de la période européenne du troisième, Polański.

Rappelons que Tomasz Stańko nous a quittés en juillet 2018. On ne peut pas dire de lui qu’il fait la une de l’actualité jazzistique européenne, ni d’ailleurs qu’il soit tombé dans l’oubli. Mais ses fulgurances, sa sonorité, sont moins fréquentes à nos oreilles. Il faut le hasard d’un mail, d’un interlocuteur jusque-là inconnu, de souhaits réciproques pour que ce nom surgisse à nouveau. Et c’est ce plaisir inattendu qui mérite, je crois, d’être partagé.

recto pochette de Litania

Bien des albums du trompettiste méritent d’être rappelés, d’autant que celui-ci, Litania, est assez distinct du reste de sa production. Ici, en effet, il n’est pas avec les musiciens qui l’accompagnent souvent, en particulier Edvard Vesala (dm). D’autre part, il s’agit de la part du leader du groupe, un sextette, de rendre hommage à un compositeur, et indirectement à un réalisateur. Il s’est entouré du très lyrique Bernt Rosengren (ts), de Joakim Milder (ts, ss), Bobo Stenson (p), Palle Danielsson (b) et Jon Christensen (dm).

il s’agit de célébrer un compositeur qui met des sons sur des images

Dans cet album, les thèmes sont toujours à portée d’oreilles, y compris lors des solos. C’est qu’il s’agit de célébrer un compositeur qui met des sons sur des images. C’est qu’il s’agit d’un voyage hors des films, d’une errance pour les oreilles, d’une musique pour aiguiser l’imaginaire.

Les talents de chacun s’expriment par la délicatesse, la sensibilité des parties solistes, à l’image de celles de Bobo Stenson. Ce n’est pourtant pas le cas de Palle Danielsson, non qu’il soit dépourvu de lyrisme, mais plutôt qu’il y a là une présence continue tout l’album durant. On pourrait presque dire qu’il est en perpétuel solo et qu’on lui confierait bien volontiers l’une de nos oreilles, n’était qu’il nous en faudrait de nouvelles pour les autres musiciens.

Quant à Tomasz Stańko, sa sonorité, surtout dans les graves, accroche. Une forme de drogue douce, mélange de suavité et d’éraillements, un son qui frôle notre peau, qui la fait frémir. Elle s’épanouit dans les nombreuses ballades qui composent l’album. Mais cette musique est tout autant faite d’éclairs, de jaillissements, de vrilles, de phrases torturées qui nous transpercent ou nous projettent ailleurs. C’est l’occasion de déchirer les timbres du cuivre, d’exhiber les entrailles du son. Sa musique évolue dans ce clair-obscur bouleversant, qui exacerbe les couleurs. Il s’agit là de la puissance d’un fauve.

verso pochette de Litania
avec des informations sur les films

L’album est sorti sur ECM, comme c’est souvent le cas pour cet artiste.
On peut voir une version filmée en concert, proposée par l’une des chaînes polonaises, Kultura, dans une version plus courte que celle de l’album. Comme cette dernière ne fait pas les choses à moitié, elle y a inséré des extraits de film, juste des virgules, avec le nom du thème, le nom du cinéaste et celui du film. C’était en 1998.
Un plaisir entier.

par Guy Sitruk // Publié le 31 mai 2020
P.-S. :

Petite biographie de Tomasz Stańko
On retrouvera la liste des pistes sur Discogs
Une chronologie vous permettra de suivre les différents thèmes :
Piste 1 - 00:00 Częći
Piste 2 - 07:00 Ballada
Piste 3 - 17:25 Litania
Piste 4 - 28-25 Ballad For Bernt
Piste 5 - 35:50 Sleep Safe And Warm