Chronique

Rudi Mahall & Ouát

The Straight Horn of Rudi Mahall

Rudi Mahall (cl, bcl), Simon Sieger (tb, p), Joël Grip (b), Michael Griener (dm)

Label / Distribution : Two Nineteen Records

Compagnon de longue date d’Aki Takase et Alexander von Schlippenbach, le clarinettiste allemand Rudi Mahall est un dynamiteur bien connu du jazz le plus libre qui aime à regarder les racines de la tradition, fussent-elles celles de Dolphy ou de Monk. Depuis son expérience avec Uwe Oberg et Michael Griener dans l’orchestre Lacy Pool, on sait aussi Mahall très influencé par Steve Lacy, une piste que l’on pouvait suivre également dans son très bel échange avec le hongrois István Grencsó. Ici dans ce nouvel album en compagnie de son vieil ami Michael Griener, The Straight Horn of Rudi Mahall, il poursuit cette allégeance à une tradition vue comme un matériel à transcender autant qu’à honorer, comme on le ressent avec « 17 West » de Dolphy, presque une évidence dans cette lecture où le piano de Simon Sieger construit une ligne rythmique puissante et versatile. À ses côtés, le contrebassiste Joël Grip, habitué à ce travail avec Badaroux ou Die Hochstapler, magnifie ce chemin tortueux par un jeu puissant et nerveux. Le trio qui accompagne Mahall est un orchestre déjà constitué, Ouàt, qui se met à sa totale disposition.

Comment ne pas penser à Lacy ? Évidemment le titre de l’album y fait directement référence, jusqu’au graphisme de la pochette ; cela ressemble à une pochade, mais rien n’est plus sérieux, et l’esprit de Lacy gagne certaines relectures, à l’exemple de « Be Bop » de Gillespie, jouée avec cette légèreté peu commune, et où Sieger rejoint Mahall au trombone pendant que Griener fait des miracles. Certes, le bois droit de Mahall est une clarinette et pas un sax soprano, mais il y a cette même souplesse et cette même élégance dans l’approche des standards. À peine quelques adaptations de répertoire, en témoigne cette version pugnace de « Petite Fleur » qui fait la part belle au jeu d’archet de Grip ; c’est avec beaucoup de grâce que Mahall s’envole par grand vent.

C’est un disque très important auquel nous convie Ouàt sur le label Two Nineteen Records, en vinyle ou en téléchargement sur BandCamp. D’abord parce qu’il témoigne du talent joyeux de son invité d’honneur, mais aussi parce qu’il illustre à merveille un courant du jazz européen qui excelle dans bien des entreprises. C’est ce qui ressortait déjà de Die Enttaüschung, avec une bande très proche, et c’est ce qui s’affirme ici ; une sorte de suite de ce qui von Schlippenbach entreprend avec sa compagne depuis des décennies et qui apparaît ici avec des habits neufs. Mais toujours aussi classieux.