L’oreille sans qui l’on ne serait rien, lieu de danger et de beauté, fragilité de la mécanique, voici où se situe Ossos, le solo de violoncelle de Valentin Ceccaldi paru chez Cipsela Records. Le label portugais a l’habitude de laisser libre cours aux cordes solistes, mais l’exercice est nouveau pour le benjamin de la famille Ceccaldi, qui a toujours préféré le collectif à l’individuel. Qu’importe : l’influence majeure de musiciens comme Zingaro ou Léandre se ressent, à peine a-t-il commencé à dessiner les contours d’« Enclume », le premier des osselets étudié par un archet fouineur, qui avance en tapinois sur de nombreuses fréquences. Le titre est malicieux, car on pourrait s’imaginer des frappes ; hormis quelques secondes à la toute fin du morceau, comme une déflagration soudaine, tout est éloge de l’immobilité, même si le violoncelle, toujours si proche de la voix, enfle comme un puissant chant de gorge.
On retrouve là l’identité de Valentin Ceccaldi. On le disait déjà chez Marcel & Solange, mais le soliste se plaît dans le brouillard épais, dans le sentiment cotonneux du déboussolement, dans cette ouate poétique qu’il sait générer seul. On s’en aperçoit sur « Etrier », au seuil de l’aigu le plus perçant, qui trille comme un chant pastoral avant de s’enfoncer très progressivement dans un lointain et un abstrait, de se faire happer dans une épaisseur que Ceccaldi découpe avec la précision d’une dentelle, jusqu’au silence qui clôt l’album.
On se souvient de Zèbres, le duo du violoncelliste avec le guitariste David Chevallier. Ossos prend la même direction, changeante et pleine de détours, pour rendre hommage au son dans toutes ses dimensions, un sujet qui était également au centre de Chamber 4 avec Marcelo Dos Reis. L’oreille bien sûr en est le réceptacle, mais c’est aussi, des cinq sens, le plus subjectif et insaisissable. Le plus personnel, donc. Ceccaldi nous livre son écoute propre, sa sensibilité, et se met à nu dans un solo plein de promesses. Dans la galaxie des solos de violoncelle de la musique improvisée, on a, proche de nous, l’expressivité tellurique de Didier Petit et les images oniriques de Vincent Courtois. Valentin Ceccaldi nous livre une troisième voie, la sienne. Un exercice qui gageons-le, se reproduira à l’avenir.