Chronique

Villéger, Milanta, Bramerie

Strictly Strayhorn

André Villéger (saxes, bcl), Philippe Milanta (p), Thomas Bramerie (b)

Label / Distribution : Camille Production

Dédé-la-science ou Villéger le poète ?

Plus exigeant que jamais avec l’art du jazz, le saxophoniste joue de sa légitimité patrimoniale dans un hommage à Billy Strayhorn, le légendaire alter ego de Duke Ellington. Allié une fois de plus au pianiste d’excellence Philippe Milanta, avec qui il avait célébré la magie de l’alliage du Duke avec le ténor mythique Paul Gonsalves, il a convié l’immense contrebassiste Thomas Bramerie à participer à la fête.

Et l’on se doute que, riche de son savoir et de sa soif insatiable de découvertes musicales, ce diable d’André Villéger a passé et passera encore des nuits entières à relever telle ou telle phrase de quelque membre de l’orchestre d’Ellington. De fait, s’il s’exprime avec des instruments à anches, il réussit à retranscrire dans son souffle somptueux tous les éléments d’un big band. Pour un peu, on entendrait même des parties de batterie lorsqu’il s’exprime à la clarinette basse sur « My Little Brown Book », composition « gospellissime » de Strayhorn dont il livre une version délicieusement laïcisée –et c’est bien lui le maître du swing sur ce titre.

Thomas Bramerie joue lui aussi ce refus du leadership, sur un « Johnny Come Lately » conçu par le compositeur américain comme un hommage à Jimmy Blanton (ce légendaire contrebassiste d’Ellington fut l’un des premiers sinon le premier à extraire son instrument d’une fonction exclusivement accompagnatrice à la fin des années trente). C’est bien un sens de l’improvisation collective qui s’impose, dont Villéger voit des résurgences dans le quartette actuel de Wayne Shorter, comme il l’écrit dans des notes de livret en tout point passionnantes.

Le trio est absolument fidèle à ce que l’on pourrait qualifier de « charte strayhonienne », conjuguant avec félicité révérences à la musique classique et extrême sens du blues (et Milanta s’y connaît pour déployer romantisme et notes bleues). Ces musiciens, plus que des conteurs, sont des fabulistes, retraduisant la geste du compositeur américain dans un recueil d’histoires plus métaphoriques les unes que les autres. Car c’est bien l’histoire des peuples afro-américains que contait Strayhorn. Désormais d’autres, ici présents, la transmettent dans un tourbillon sensoriel, délivrant par exemple le standardissime « Satin Doll » dans son essence même, dépouillé de tout superflu pour en restituer l’infinie douceur.

Et si deux compositions figurent sur la liste des thèmes proposés (l’une de Villéger, l’autre de Milanta), elles se fondent délicatement dans le propos d’ensemble, ne dépareillant pas, bien au contraire, au regard de l’œuvre américaine originelle.