Chronique

Gaël Horellou

Organ Power

Gaël Horellou (as), Pierre Drevet (tp), Simon Girard (tb), Fred Nardin (elp), Antoine Paganotti (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Mais quel démon l’habite, Gaël Horellou ? Celui du hard-bop ? Assurément. Celui de la soul ? Certainement. Celui du rhythm’n’blues ? Évidemment. Celui du gospel ? Absolument. Seigneur, protégez-nous de ce jazz aux relents méphitiques. Car si le diable a un organe, il est méchamment puissant avec les cinq démons qu’Il a convoqués ici-bas.
Fred Nardin, à l’orgue Hammond, attise les braises en fourbissant des basses qui semblent issues du plus profond du Styx, quand il ne déploie pas des clusters qui fleurent bon le son d’un Booker T. (le mythique organiste de la Stax), ou des chorus sur lesquels il paraît possédé par l’esprit de quelque Jimmy Smith. A la batterie, Antoine Paganotti développe un sens instinctif de l’accompagnement, tant sur les tuttis des vents que pendant les passages de relais entre les solistes (vents et clavier). On le croirait doté d’un don d’ubiquité, tellement il dessine les sept cercles de l’enfer par son jeu incendiaire. Mais il se fait aussi sculpteur de silences, ce qui, pour un musicien, est vraiment le signe d’une emprise maléfique.
Les vents nous entraînent dans leur sabbat jusqu’à une ballade aux accointances sataniques. Le trombone, tenu par Simon Girard, éructe d’un plaisir libidinal flirtant avec la petite mort lorsqu’il growle à qui mieux mieux. La trompette, dans laquelle Pierre Drevet envoie un souffle démoniaque, disperse des étincelles de feu infernal.
Quant au saxophone d’Horellou, ce sont des flammes bleues qui en émanent : l’homme, si c’en est encore un, possède tellement d’idiomes en jazz qu’on pourrait croire qu’il parle véritablement en langues. On le sait d’ailleurs adepte et apôtre démoniaque de ce bop qui fait chavirer les bonnes âmes. Ainsi de la reprise du « Minority » de Gigi Gryce, seigneur des aspérités que sont les quintes et autres neuvièmes bémol. Il ose même adapter pour la configuration de ce groupe quelques thèmes emblématiques de son répertoire, tel « Nathanaël », dédié à son fils. Sacrifier ainsi le nom d’un être pur sur l’autel du jazz lui aurait valu, en d’autres temps, les foudres de l’Inquisition. D’autant plus que son sax enfiévré nous donne des frissons. On entend d’ailleurs comme des effluves de plaisirs enfantins qui parsèment le disque. Et, plutôt que de nous laisser dans la contemplation méditative d’une pieuse écoute, il commet un titre incitant à la sarabande la plus crue (« Twistin », limite ska).
Plus encore, avec sa bande de whities, il commet un rapt des cultures afro-américaines : s’emparer d’une façon aussi authentique des aspects les plus exigeants des musiques blacks, y a-t-il plus grand péché ? Pour un peu, il inverserait la logique de l’histoire en nous faisant croire que cette musique peut être éternelle. Que l’on soit damné donc : ce jazz est délicieusement infernal.