Youn Sun Nah
Same Girl
Youn Sun Nah (voc, kalimba, music box, kazoo), Ulf Wakenius (g), Lars Danielsson (b, cello), Xavier Desandre-Navarre (dr), Roland Brival (voix sur « La Chanson d’Hélène »)
Label / Distribution : ACT
Youn Sun Nah nous avait déjà époustouflés en 2009 avec Voyage ; la voici qui revient pour un deuxième album chez ACT, et l’on commence à être à court d’épithètes. Bonne raison pour tenter une chronique à faible teneur en adjectifs…
Même formation que pour Voyage à une trompette près : Same Girl se place clairement dans la lignée de l’enregistrement précédent. On y trouve même, avec « Breakfast in Baghdad », composition d’Ulf Wakenius, une sorte de pendant du « Frevo » d’Egberto Gismonti où Youn et le guitariste faisaient déjà assaut de virtuosité. Les cascades de notes du thème, ici escortées par la basse et les percussions (un Xavier Desandre-Navarre plein de brio), leur fournissent le tremplin rêvé pour deux improvisations de haut vol - de très haut vol pour Youn Sun Nah qui mixe avec jubilation différentes techniques vocales, alterne notes tenues et scat, nous fait visiter une tessiture qu’elle a particulièrement étendue, passe en quelques secondes du souffle à la stridence sans jamais se départir de sa musicalité.
Mais la virtuosité n’est pas tout chez Youn Sun Nah. Il faut évoquer son goût du texte, qu’elle articule avec une précision gourmande. Gourmande, c’est bien le mot : entendez-la chanter les « crisp apple strudels » et les « schnitzel with noodles » dans « My Favorite Things » - nous y reviendrons -, égrener sa liste de plats comme la carte d’un restaurant un peu braque dans « Pancake » [1] : aucun doute, le chant, la diction sont bien affaire d’oralité. Cette même diction fait merveille dans « Kangwondo Arirang », dans sa langue maternelle dont on l’entend se délecter, ou « La chanson d’Hélène » - dernière plage de l’album, comme l’était « India Song » sur Voyage [2]. Une prise de son aussi précise que son chant permet d’en apprécier la subtilité dans ses plus infimes détails, comme ce « d » final de « Never-Never Land », qu’elle nous fait attendre, désirer, espérer à la fin de « Enter Sandman ».
Il y a aussi, dans ce disque plus encore que dans le précédent, une extrême liberté. Celle qui consiste à reprendre, on vient de le voir, un titre de Metallica avec un sens de la tension dramatique qui révèle des complexités dans une musique dont les versions connues étaient jusqu’ici plutôt… primaires. Celle qui lui fait interpréter « My Favorite Things », à cent mille lieues de Coltrane et à quelques années-lumières des chanteuses de standards, simplement vêtue de probité candide et d’une kalimba. Celle qui lui permet de s’accompagner d’une boîte à musique (« Same Girl ») ou de prendre un solo de kazoo sur « Moondog », de jouer avec une pédale d’effets (« Pancake »), et d’entretenir avec tous les instrumentistes une relation de musicien à musicien.
Liberté, musicalité, improvisation, précision, interaction, reprise « augmentée » de thèmes célèbres venus d’ailleurs : Youn Sun Nah est la plus belle preuve que l’esprit jazz souffle toujours sur la voix. Et ce n’est pas tout : sur scène, elle en donne plus encore.