Scènes

Youn Sun Nah en concert (2011)

Canteleu (76). Quand la lumière se fait, elle apparaît à pas comptés, comme timide encore de l’accueil et des vivats qui l’accompagne...


Canteleu (76). Quand la lumière se fait, elle apparaît à pas comptés, timide devant les vivats qui l’accompagnent... Pourtant, après le succès inattendu et terriblement mérité de son album Same Girl, il semble que chaque étape de sa tournée suscite le même enthousiasme, sous le regard étonné de la télévision coréenne qui la suit.

Youn Sun Nah, Ulf Wakenius © F. Barriaux

La chaleureuse petite salle de l’Espace Culturel François Mitterrand de Canteleu, dans la proche banlieue rouennaise ne déroge pas à la règle ; la salle comble, plus que jamais peut être pour un concert de jazz, semble sous le charme avant même que la chanteuse aie gagné son micro. A ses côtés, Ulf Wakenius, vissé sous sa casquette de base-ball, semble ne se préoccuper de rien d’autre et file droit vers sa guitare. Dès les premières notes de « Calypso Blues » (Nat King Cole), la magie opère et l’apparente frugalité de la formule est contredite par la voix et les cordes : le duo, impressionnant d’élasticité, transcende toutes les audaces.

Youn Sun Nah chante, feule, grince ou emplit la salle de notes tenues sans jamais tomber dans la démonstration. Rien n’est virtuose pour la virtuosité, tout est au service d’une sensibilité à fleur de peau et une générosité sans limite ; la chanteuse pourrait jouer la diva, tomber dans la minauderie charmeuse qui disqualifie tant de ses collègues pour qui le jazz n’est qu’un colifichet de plus... Elle choisit de s’immerger dans la musique avec la plus grande humilité. Qu’elle reprenne Gismonti avec « Frevo » ou Tom Waits avec « Jockey Full of Bourbon » (l’occasion, pour Wakenius, de monter toute son inventivité, doublée d’un grand sens de l’humour), Youn Sun Nah chante avec tout son corps, balance ses bras comme pour embrasser l’air ou pour devenir le thérémine d’elle-même. Lorsqu’elle termine sur « Same Girl », de Randy Newman, avec sa petite boîte à musique qui déroule une carte imprimée comme on susurre un conte, on dirait même qu’elle s’envole...

Youn Sun Nah © F. Barriaux

Captivé, le public la suit avec gourmandise dans cet univers qui laisse tant de place à la poésie enfantine, devant ces jeux de bouche ou de gorge, mais aussi ces instruments sommaires dont elle tire des miracles : la kalimba de « My Favorite Things », bien sûr (chanson que le public fredonne, atteint d’un frisson à l’échine), mais aussi le kazoo de « Moondog » qui prend des allures de dérisoire solo de saxophone.

Il y aura toujours des esprits chagrins pour trouver le parfait trop parfait et déplorer un succès populaire qui n’a pourtant pas eu besoin de renier sa musique... Un tel niveau d’exigence est de plus en plus rare dans les grands succès ! A observer l’air réjoui des spectateurs massés en nombre lors d’une séance de dédicace, on constate que le petit monde de Youn Sun Nah a touché le plus grand nombre sans se renier ni calquer les postures des chanteuses médiatiques. Sans esbroufe, Youn Sun Nah trace sa route, jusqu’à la prochaine étape de sa tournée, où l’accueil sera à coup sûr tout aussi chaleureux...