Scènes

La musique des sphères

Soirée dédiée au label Astropi au club le Pannonica.


Photo : Michael Parque

Sur scène, le fleuron des musiciens poètes bâtit des mondes immatériels en jouant avec l’instant. Un quartet de rêve en première partie suivi d’un duo contemplatif. La soirée était unique et il fallait en être. Nous en étions.

Astropi publie de rares disques autant que des disques rares. Réunissant des musiciens dont les contours esthétiques se situent aux frontières des limbes, Astropi privilégie les ambiances en retenue. En inventant des moyens pour y parvenir, il ouvre les voies à des imaginaires neufs. Vaguement dirigé par le batteur percussionniste Toma Gouband, le label existe et n’existe pas. Ce soir il existe, nous dit-il. Il est difficile de saisir l’entièreté de son propos, de même qu’il est difficile de comprendre ses schémas (allez voir sur le site) qui évoquent d’antiques calendriers célestes et servent d’orientation de jeu aux musiciens. Quoiqu’il en soit, l’homme est à l’image de son propos, sincère et lunaire.

Ce qui compte avant tout, c’est le rendu. Derrière un set de batterie fait de sa main, de fûts déglingués trouvés vraisemblablement dans une brocante, de cymbale abîmées, d’objets divers, pommes de pin et surtout lithophones, ces pierres qui résonnent, Toma Gouband invente des univers, garant d’un geste dont il est le seul dépositaire. Dans une attitude d’hyper-concentration, il pèse chaque frappe, réfléchit chaque coup et donne une couleur unique à ce qu’il génère. Très vite couvert de sueur, preuve de son investissement, il est le point nodal des musiciens à ses côtés. Benoît Delbecq est le complément de sa mécanique percussive. Son piano préparé se transforme en autant de petits marteaux cliquetant de vibrations même si quelques octaves sont destinées à des phrasés aussi complexes que mélodieux.

Toma Gouband, photo Michael Parque

Devant ou au-dessus. Ou même à côté, le saxophoniste Antonin-Tri Hoang se laisse porter par les vents et parcourt l’espace de phrases sinueuses qui n’imposent jamais rien. Elles ouvrent des possibles et tracent des chemins qui aussitôt s’évaporent. Nelson Veras, à la guitare, semble en retrait. Discret et délicat contrepoint, il brode des liserés autour du groupe et lui donne un supplément de lumière. Tout baigne dans une ambiance spirituelle sans effet de religiosité abstraite ni de lyrisme poussif. Le son le plus infime décide de l’orientation du mouvement général, une hyperacousie créatrice semble habiter les quatre musiciens. Gagnant en densité au fur et à mesure du concert, cette musique nébuleuse parvient à se résoudre dans une contradiction saisissante : donner une vraie pesanteur à un monde aérien. Complétée par le live painting du peintre Stéphane Cattaneo, la scène gagne une dimension visuelle autant que sonore.

La seconde partie aurait pu, tout aussi bien, jouer en ouverture. Le duo Rawfish Boys réunit Joachim Badenhorst (saxophone, clarinette) et Brice Soniano (contrebasse) et se situe en complément à leurs camarades. Musique chantante et pleine, développant des vibrations sonores d’une parfaite unité malgré les lignes divergentes, elle conduit à l’apaisement et à une forme de méditation salutaire. Le final réunissant les deux formations en sextet n’est pas une greffe artificielle. Plutôt l’extension d’une identique désir de création et l’envie de glisser ensemble à la surface des mêmes rêves.