Chronique

De Chassy / Marguet / Sheppard

Shakespeare Songs

Guillaume de Chassy (p), Christophe Marguet (dms), Andy Sheppard (ts, ss), Kristin Scott Thomas (voc)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Habitué aux Traversées en solitaire sur les mers sereines de la musique écrite occidentale, Guillaume de Chassy est aussi un passionné de chansons. Il l’avait démontré avec Daniel Yvinec et André Minvielle, il le cultive depuis de nombreuses années avec le batteur Christophe Marguet autour de chansons de l’Entre-deux-guerres. Depuis trois ans ils visitent l’univers plus contrasté des œuvres de Shakespeare, pour lesquelles ils ont composé plusieurs thèmes s’inspirant des personnages et de leurs tourments, imaginant des événements en marge de l’œuvre, telle cette description explosive d’un bal, nécessairement tragique, où les Capulet et les Montaigu se mesurent avec fracas (« Capulets and Montagues go dancing »). On avait laissé le pianiste sur une évocation de Prokofiev et Hanns Eisler, le voici, suite logique, aux côtés de Roméo et Juliette… avec, pour l’accompagner et compléter le trio, le saxophoniste britannique Andy Sheppard, dont le son clair fait ici merveille comme il le faisait naguère auprès de Carla Bley (« Marching Forest », où son élégance chaleureuse est le liant parfait entre l’approche très rythmique de De Chassy et la musicalité constante de Marguet).

Grands lecteurs des pièces de Shakespeare - ils nous le révélaient dans l’interview vidéo qu’ils nous avaient accordée lors d’une prestation à Nevers en 2013 - les deux compositeurs n’ont pas seulement une lecture littérale de l’œuvre. Certes, « Othello’s Tears » traduit à merveille les sentiments contraires et les accablements soudains, mais chacun des morceaux tente avec bonheur de regarder de l’autre côté du miroir. Celui de Juliette, évidemment (« Juliet in The Mirror »), mais aussi d’autres personnages emblématiques, comme « Perdita », qui éclot d’une tempête sombre de métal et de cordes de piano frottées pour mieux s’adoucir lorsque la voix de Kristin Scott Thomas profère quelque extrait de la pièce avec un charme vénéneux.

Contrairement à la scène, où Shakespeare Songs est joué en trio, le disque apporte avec l’actrice anglaise une dimension supplémentaire, une incarnation théâtrale de l’auteur par le biais de son verbe, interprété par une comédienne rompue à l’exercice shakespearien. Au gré des titres elle est tour à tour « Cordelia » ou Caliban avec une égale justesse. Enregistrées avant que le trio ne joue, ses interventions semblent susciter les improvisations, en plus de donner corps à la musique. Voici un bel hommage au dramaturge que nous propose le label Abalone.