Tribune

À plus tard, Denis Badault

Le pianiste et compositeur nous a quittés à l’âge de 65 ans


Denis Badault © Franck Bigotte

Directeur de l’Orchestre National de Jazz au début des années 90, le pianiste Denis Badault a toujours été envisagé sous l’angle du trublion. Musicien généreux et inventif, doté d’un solide sens de l’humour, c’est surtout l’image d’un compositeur insatiable et d’un passionné de la transmission du savoir qu’il faudra conserver. Denis Badault nous a quittés brutalement au cœur de l’été, à l’âge de 65 ans.

Tout avait commencé par un premier prix de soliste au concours national de jazz de la Défense en 1979, qui marquera, à l’orée des années 80, l’arrivée d’une nouvelle génération de musiciens de jazz français. Mais est-ce que tout doit commencer par un concours ? Toute la musique de Denis Badault se défiait des ors et des médailles, même s’il fut fait Chevalier des Arts & Lettres à la fin de son mandat à l’ONJ. L’histoire de Denis Badault est d’abord celle d’un regard chaleureux qui s’impose sans chercher à se mettre en avant, et qui va définir une couleur et une identité durable au jazz hexagonal. Elles se sont incarnées dans le Label Bleu d’Amiens, et ont pris tout d’abord les traits d’une Bande.

Denis Badault en solo à Jazz à Junas en juillet 2009.

La Bande à Badault date de 1982, mais le disque qui fit date a été enregistré en 1987 dans le mythique théâtre Dunois. Le line-up de cet orchestre est le témoin d’un époque et donne le tournis, de Dominique Pifarély à Michel Godard en passant par Jean-Louis Pommier. Ce disque a marqué la naissance d’une approche très européenne du Grand Format, la présence dans l’orchestre d’Andy Emler marquant même la notion revendiquée de bande. D’amitié forte.

Avec Emler, Denis Badault fut le premier clavier de l’Orchestre National de Jazz en 1986, et François Jeanneau lui confiera même les clés de l’orchestre « Sur les marches de la piscine », une de ses compositions, à la rythmique d’airain, qui porte déjà fortement sa marque. Avec le fondateur du MegaOctet (et Emmanuel Bex), Denis Badault créera Les 3 Claviers, une de ses incursions dans les petites formes ; il avait déjà usé du trio avec François Verly et Yves Torchinsky dans Et Voilà, aussi en 1987. On le retrouvera également en quartet avec H3B quelques décennies plus tard, en compagnie de Tom Arthurs, Régis Huby et Sébastien Boisseau [1], mais aussi dans un très beau Triobado, avec Olivier Sens et François Merville, pour l’une des premières références du label Yolk Records. Plus récemment, le pianiste se produisait, histoire d’amitié supplémentaire, avec Éric Lareine pour un très beau duo dont Méloditions est l’album le plus récent. On y entendra une magnifique reprise de « Dans l’eau de la claire fontaine » qui résume assez simplement la douceur de l’écoute et le talent d’improvisation qui animait toujours Denis Badault.

Mais l’histoire centrale de sa carrière restera sans conteste l’ONJ. L’histoire commence avec les débuts de cette institution en 1986 et se poursuivra jusque très récemment, puisqu’il dirigeait l’ONJ des jeunes en 2021-2022, avec notamment le trompettiste Pierre-Antoine Savoyat qui témoigne : « L’énergie et la générosité que Denis nous a offertes pendant toute la saison de l’Orchestre des Jeunes 2022, nous donnaient l’impression qu’il était invincible. Notre orchestre éphémère se sent quelque peu orphelin aujourd’hui ». Pour ce pédagogue reconnu et curieux de tout, ce qui l’a amené à collaborer avec des compagnies de danse notamment, cet ONJ jeunes correspondait pleinement à son approche artistique, à une douceur et une bienveillance soulignées dans de nombreux hommages spontanés. Son passage à la tête de l’ONJ de 1990 à 1994 marquera durablement l’histoire de l’orchestre. Il est sans conteste celui d’une réelle maturité et d’un affranchissement conscient de l’esthétique étasunienne pour lorgner davantage vers l’Europe. Le Vienna Art Orchestra s’y impose comme un modèle [2] et offrira à l’ONJ une indépendance et une vraie cohérence artistique.

Apôtre de la révolution faite en douceur, Denis Badault a d’abord cassé le fantasme du Big Band. Avec un instrumentarium qui permit aux cordes de prendre de l’importance, mais nous fit découvrir aussi la voix d’Élise Caron, qu’il a contribué à inscrire dans la belle histoire du jazz européen. Le disque À plus tard, sorti en 1992, est d’une modernité folle et la relecture de son morceau-titre, à l’occasion des 30 ans de l’ONJ, reste l’un des fleurons de cette longue histoire. Il renouera même avec les grandes figures de l’histoire du jazz transatlantique dans un très beau Monk Mingus Ellington. Depuis quelques années, le Sétois se produisait beaucoup en solo dans des improvisations autour de standards. L’occasion de prendre des trains, qui alimentaient les anecdotes qu’il contait avec une douce ironie. Sa disparition laisse un vide dans le paysage du jazz hexagonal, qui perd l’un de ses discrets piliers.