Sur la platine

Aistė Kalvelytė, sculpteuse noise de l’âme balte

Une céramiste, batteuse lituanienne à découvrir.


Sculpteuse reconnue dans le milieu de l’art balte et en Europe Centrale, la Lituanienne Aistė Kalvelytė est également une batteuse qui ne craint pas les chemins sinueux et le hors-piste. Découverte à Vilnius à l’occasion du Mama Jazz Festival, il nous a semblé indispensable de se pencher sur la discographie de la céramiste dont l’esthétique, entre électronique, puissance électrique et noirceur expérimentale, aurait toute sa place sur des labels qui nous sont chers, comme Veto Records ou Carton.

Très intéressée par les traitements électroniques de son instrument et cette ambivalence entre le son brut de la frappe et les réponses synthétiques, Aistė Kalvelytė affronte les machines de Julius Cepukénas qui dansent au rythme d’une batterie franche, dure et marquée par le métal. Weird Ugly Fish (WUF) diffuse une musique torride et aussi imperceptiblement dangereuse, comme le fil d’un couteau. À ce titre, le long « S2imless » est un morceau central, lent et répétitif où des sons électroniques assez vintage forment une boucle sur une ligne de basse profonde et puissante, lame de fond souterraine.

Sur ce motif, la batterie hésite entre contrepoint et franc rudoiement, portée par une énergie qui convoque des racines puisées dans le Krautrock et les prémices d’une musique électronique assez acide comme « Swim4less ». Dans ce dernier morceau, perçu comme une inexorable libération de fulgurances rythmiques, c’est la frappe de Kalvelytė qui prend le dessus par sa dureté dans la domination électronique, même si Cepukénas propose une électronique intimement liée à la batterie. Il peut même arriver que Cepukénas domine la batterie, l’enferme dans une boucle courte et étouffante (« Dr4wnless ») qui va puiser dans le traitement du son une matière psychotrope des plus fascinantes.

une inexorable libération de fulgurances rythmiques

Avec We Know Exactly What We Are Doing du sextet Plié, on entre dans une autre atmosphère, d’abord par la voix mezzo voce de Matias Linkauskas. Sombre, torturé (on pense parfois aux atmosphères zorniennes de Naked City), ce sont deux guitares rauques qui mènent un drone lancinant que la batterie de Kalvelytė sculpte avec beaucoup d’attention, à gestes lents. Une partie de ses talents de céramiste vient effectivement s’allier à la peau de ses fûts, il y a quelque chose d’intense et de profondément nerveux. De dérangeant également lorsque la voix de Linkauskas gagne en puissance et en colère, regardant du côté du hardcore.

La frappe est lourde et tente de s’aligner au souffle souterrain du saxophone alto de Nedas Latovinas qui vient ajouter des morceaux de métal à fusionner dans la chaleur ambiante. L’énergie rock est contenue dans un des couloirs de l’underground balte, mais peut exploser à tout moment ; une matière fissile dans la quiétude balte, dans la droite lignée des rages nées derrière le mur, mâtinée des duretés électriques scandinaves. Une colère que Aistė Kalvelytė, nouvelle venue dans Plié, organise également dans Tureto Sindromas, un des groupes punk fameux de la scène de Vilnius.