Chronique

Exodos

Heuristics

Guy Bettini (tp), Fabio Martini (as, cl), Luca Sisera (b), Gerry Hemingway (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Le trop rare trompettiste suisse Guy Bettini nous avait impressionnés dans XOL ; le voici dans un quartet très égalitaire voire totalement libertaire avec d’autres italophones, à commencer par le multianchiste Fabio Martini, vieux briscard de la scène free transalpine. Ce sont d’ailleurs les deux soufflants qui ouvrent Heuristics dans un « Prologos » presque immobile, échange au bord d’un précipice que Martini effleure de ses sifflements. Rien n’est immuable, et c’est la base rythmique qui construit un pont au milieu du vide : avec la contrebasse de Luca Sisera d’abord, la plus pointilliste qui soit, puis les trouvailles de Gerry Hemingway, volubile et en incessant mouvement. Une doublette qui ne mène pas de débats mais les structure, comme en témoigne « Epeisodia 3 » qui offre à Sisera, le bâtisseur de Roofer, la possibilité de réunir les sinuosités de la clarinette basse et les cataractes d’une trompette joliment rugueuse.

Exodos : la dernière partie de la tragédie grecque, celle qui dénoue l’intrigue et intime au spectateur d’en tirer les enseignements. La présence d’Hemingway pourrait laisser penser à un énième théâtre de la discussion entre les continents des musiques improvisées, mais le batteur est installé depuis si longtemps en Suisse que ce genre de considération est invalide. De fait, lorsqu’on écoute les frappes tomber comme des giboulées sur les pizzicati de Sisera que la trompette pourchasse sur « Stasimon A », on s’aperçoit que tous les codes de l’improvisation européenne sont là dans la tension toujours maintenue de Bettini, mais qu’il n’y a aucune volonté de référence ou d’appartenance. De la même façon, l’énergie de « Epeisodia 2 » qui lui fait suite et ses courtes cellules répétées aléatoirement comme des toupies qui s’entrechoquent ouvrent de nombreux possibles.

Ce qui frappe dans ce disque paru chez Leo Records, c’est l’absolue liberté du quartet. Elle se fait sans rudesse ni colère, elle ne se revendique pas, elle est ontologiquement présente. La volonté de jouer ensemble est la seule chose qui s’embrase. Ce qui se consume, ce sont les liens que les musiciens peuvent avoir avec leur différentes esthétiques respectives. Ce qu’ils souhaitent construire est neuf. Bienvenue dans l’Exodos des musiques non-alignées.