Chronique

Christian Muthspiel Orjazztra Vienna

Homecoming Live

Label / Distribution : Universal

De la tendresse et une noirceur latente, enfouie, enjolivée par une dynamique d’orchestre puissante. S’il s’agissait de définir en quelques mots Homecoming Live, le nouvel album du compositeur, pianiste et tromboniste Christian Muthspiel à qui nous consacrons un portrait, il n’y aurait pas plus direct. C’est sensible dès « The Flight of The Crane » où l’on peut certes apprécier le solo du saxophoniste alto Fabian Rucker, mais surtout la grande cohésion d’un ensemble de dix-sept pupitres où la profusion de timbres et son travail d’orfèvre est des plus brillants. Plus loin, c’est sur « Requiem For a Blue Planet », pleine d’inquiétude et d’espoir que toute l’expressivité de la musique de Muthspiel apparaît : le saxophone baryton de Florian Bauer et surtout la clarinette basse de Lisa Hofmaninger plonge aux tréfonds de l’orchestre pour en nourrir toute l’émotion. Ce n’est pas seulement le talent intrinsèque de l’écriture qui créé cette atmosphère, c’est aussi un orchestre très ample, où l’une des bonnes idées est d’avoir deux batteurs qui se partagent chacun un canal. On y retrouve d’ailleurs avec enthousiasme Judith Schwarz, la percussionniste de Chuffdrone. Les deux batteurs auront l’occasion de s’offrir un face-à-face virulent dans un morceau où l’orchestre aux aguets fait monter les antagonismes avec une finesse rare.

Les membres de l’orchestre ont été choisis sur mesure, et adopte immédiatement l’écriture de leur hôte ; si beaucoup d’entre eux ont une grande culture classique (on pense notamment au très braxtonnien trompettiste Lorenz Raab), c’est bien à la jeune scène jazz que ce Homecoming s’intéresse. « Tribal Dance » et le travail des trombonistes Alois Eberl et Christina Lachberger en témoigne. A ce titre, la multianchiste Lisa Hofmaninger est un symbole de l’Orjazztra fondé par Muthspiel. Elle-même figure du jeune orchestre viennois Chuffdrone, elle symbolise toute la jeune génération autrichienne que le tromboniste a voulu mettre à contribution dans ses partitions tout aussi érudites qu’elles sont d’une rare clarté. On retrouve également la contrebassiste Judith Ferstl, également membre de Chuffdrone, qui montre tout son talent dans un « Open Strings » plus abstrait, où elle croise la bassiste électrique Beate Wiesinger contemplative, à peine troublé par le piano de Philipp Nikrin (on s’intéressera aux orchestres de Tobias Hoffmann où il émarge) avant que l’orchestre ne s’impose comme une brume latente et d’une douceur sans pareille.

Enregistré dans les conditions du live pendant la pandémie, Homecoming est à la fois un jalon de plus dans la carrière de Christian Muthspiel et certainement l’un des orchestres qui lui ressemble le plus depuis son Octet Ost. Le double album déborde d’idée et embrasse toutes les influences et les envies d’un compositeur qui dirige mais a laissé les clés à une jeune génération autrichienne des plus intéressante, auquel il convient d’ajouter le magyaro-helvète Marton Juhasz. Dans cet orchestre très féminin, on perçoit toute la modernité, l’envie et la joie que sait transmettre Christian Muthspiel. Un disque plein de gourmandise et résolument indispensable.

par Franpi Barriaux // Publié le 19 mars 2023
P.-S. :

Christian Muthspiel (comp, dir), Lisa Hofmaninger (ss, bs), Fabian Rucker (as, ss, cl), Astrid Wiesinge (as, ss), Robert Unterköfler (ts, ss), Ilse Riedler (ts, ss, cl), Florian Bauer (bs, bcl), Gerhard Ornig, Dominik Fuss, Lorenz Raab (tp, flh), Alois Eberl, Daniel Holzleitner (tb), Christina Lachberger (btb), Philipp Nykrin (p), Judith Ferstl (b), Beate Wiesinger (elb), Judith Schwarz, Marton Juhasz (dms)