Scènes

Andreas Schaerer à Montpellier

Festival Radio France-Montpellier


photo © Michel Laborde

Il y a des moments de musique où il n’est plus seulement question de musique. Des moments au-delà de l’événement sonore, de l’expression musicale, de la représentation. On comprend alors ce qu’on est venu partager avec les artistes. Dans ces moments-là, des êtres humains entrent en collision les uns avec les autres.

Au départ, il y a le talent qu’Andreas Schaerer fait résonner avec une polyvalence impressionnante. Chanteur, beatboxeur, trompettiste « humain » (qu’on pourrait encore compartimenter : soliste, trompettiste de section, leader de big band), comédien, clown, conteur… En tant que chanteur, il se place presque dans un registre de crooner de comédies musicales des Sixties, avec un grand intérêt pour la narration et le théâtral.

C’est lorsqu’il imite la trompette que sa maîtrise vocale est la plus éloquente. Il en reproduit toutes les inflexions, le phrasé, le timbre. Il inclut même les difficultés propres à l’instrument (le son qui se resserre dans les aigus, par exemple), et peut jouer en sourdine avec ses mains en guise de plunger. C’est un véritable improvisateur au sens le plus large du terme, avec toute l’élasticité que cela implique. Schaerer adapte toujours son jeu à ce que lui évoque l’instant et profite de toutes les cordes (pas seulement vocales…) à son arc pour passer d’une aptitude à l’autre selon les réactions du public, les propositions des comparses, voire la géométrie de la scène. Ainsi, un morceau de beatbox solo se transforme en match de tennis mettant en scène joueurs et commentateur. Une improvisation collective dirigée façon soundpainting (mais avec ses propres signes) mute en scène de cueillette de fruits (les notes) puis de préparation d’une potion magique dans un énorme chaudron en ébullition (la musique). Inspiration venue spontanément de la disposition des musiciens et du plateau en forme de demi-lune.

Andreas Schaerer, photo © Michel Laborde

Ces musiciens qui l’entourent, presque tous multi-instrumentistes, ne sont pas étrangers au déferlement d’émotions qui submerge l’audience. Section de cuivres de choc avec Andreas Tschopp au tuba et au trombone. Avec un son de velours qu’il sait triturer, il va chercher des sonorités en adéquation avec la folie du leader en chantant dans son instrument. Matthias Wenger est aux saxophones alto et soprano et à la flûte, et pour le grave, Benedikt Reising est au sax baryton et à la clarinette basse. Sans doute des soufflants qui se connaissent parfaitement tant l’unité et la connivence sont grandes dans les improvisations collectives comme dans les parties dirigées. Parfois l’écriture s’articule autour d’un contrepoint polyrythmique sous-tendu par la basse de Marco Müller qui rappelle la plume de Dave Holland.

On voit rarement des batteurs prendre autant leur temps dans un solo que Christoph Steiner, qui ménage son effet, installe son décor et raconte tranquillement une histoire en la construisant méticuleusement. Lorsqu’il passe de la batterie au marimba, Schaerer prouve qu’il est un beatboxer capable d’accompagner un morceau comme un véritable drummer, dans les intentions, les nuances, les réponses aux solistes. Sur un morceau à… la machine à écrire (sic), l’attitude stakhanoviste de Steiner fusionne avec la mécanique sonore de l’outil. On pourra compter sur la versatilité du chanteur pour faire prendre à l’histoire un tour que nul n’attendait.

Dans la multitude d’événements magiques qui s’animent sur scène, on discerne des constantes ; la générosité, l’humilité, l’humour, l’auto-dérision, la simplicité. À la fin, les musiciens applaudissent l’auditoire (quelque 1 800 personnes remarquablement réceptives) et le font chanter ; atmosphère très particulière d’énorme bouillonnement sensoriel. Debout, le public rappelle Andreas Schaerer et ses comparses en chantant à nouveau. Le temps s’arrête, le chant dure longtemps. Le groupe revient, visiblement touché, enthousiasme palpable.

Juste après le premier morceau, Schaerer avait dit quelques mots de présentation et, avec toute l’épaisseur de son accent helvétique, souhaité - en français dans le texte - « trouver les mots justes pour expliquer ce qui se passe ici ». Je doute qu’il en existe pour décrire ces moments-là.