Chronique

Hildegard Lernt Fliegen

The Waves Are Rising, Dear !

Andreas Schaerer (voc), Andreas Tschopp (tb, tu), Matthias Wenger (as, ss, fl), Benedikt Reising (bs, as, bcl), Marco Müller (b), Christoph Steiner (dms, mar), Vincent Peirani (acc) (#6), Jessana Némitz (voc) (#6)

C’est bon de se retrouver, voilà ce qu’ont dû se dire les musiciens de Hildegard Lernt Fliegen. L’air de rien, le sextet du génial chanteur Andreas Schaerer n’avait pas enregistré seul depuis 2015. Cinq ans et des milliers d’histoires, un léger changement de paradigme, ou du moins un décalage : de groupe à l’esprit cabaret, fait de feu d’artifice et de ripaille, Hildegard est devenu un orchestre aux arrangements de plus en plus subtils et à la recherche d’une vraie profondeur poétique. Ce ne sont pas la contrebasse de Marco Müller et la clarinette basse de Benedikt Reising qui diront le contraire sur « Irrlicht » qui renoue avec l’allemand, une langue que Schaerer fait chanter comme personne. On pourra voir dans l’évolution du chanteur et de sa formation une trajectoire à la Mike Westbrook ; nul doute que ce parallèle conviendra aux deux parties.

C’est bon de se retrouver, voilà ce que se diront immanquablement les auditeurs. Depuis la découverte en France du chanteur suisse et de son Hildegard, dans les colonnes de ce magazine il y a presque dix ans, cette dernière a largement eu le temps d’apprendre à voler. « Embrace The Earth » en est l’exemple parfait : le jeu d’embouchure du tromboniste Andreas Tschopp se mélange avec légèreté avec les souffles de Schaerer. Sur ce morceau, Vincent Peirani et la chanteuse Jessana Némitz [1] viennent ajouter à la palette de couleurs d’Hildegard, qui a délaissé les montagnes russes pour des décors plus impressionnistes, mais toujours ballottés par les contes de leur éternel Master of Ceremony [2]. Ainsi « Numb at Last », où Schaerer raconte avant de laisser les soufflants discourir (remarquable travail de Matthias Wenger à la flûte) sur une belle ligne de basse, relayé par le jeu très ouvert du percussionniste Christoph Steiner.

Le morceau s’imbrique avec « Water », que Schaerer semble rechercher avec la soif de l’égaré ; en quelques secondes, nous voici projetés dans un désert qui, s’il n’est pas inamical, est franchement silencieux. Voici les vagues dont parle Hildegard Lernt Fliegen dans le titre. Elles ne sont pas une succession de tsunamis, elles sont discrètes et raffinées. Elles n’apportent pas le chaos mais de nombreux décors, des instants joyeux, de la douceur et même leur dose de luxe. Que ceux qui pourraient penser que notre Hildegard s’est assagie se rassurent. Il n’y a guère de Human Beat Box, pas de trace de Human Trumpet, mais il y a toujours cette légèreté et cette joie collective, ainsi qu’un sens inné de la liberté qui se catalyse dans la suite « Love Warrior » à la toute fin de l’album, où le chanteur monte merveilleusement dans les aigus avec la complicité de son vieux camarade Tschopp et le marimba de Steiner. L’air de rien, Schaerer est en train de se construire l’une des plus belles discographies de l’époque. C’est fascinant d’en suivre chaque vague.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 juin 2020
P.-S. :

[1Une ancienne d’un télé-crochet, encore un point commun avec Westbrook…

[2MC, disent les jeunes de moins de 60 ans acculturés au rap.