Bolzano, marmite européenne
Compte-rendu du Südtirol Jazz Festival Altoadige édition 2022.
Du 24 juin au 3 juillet se tenait le festival du jazz emblématique du Tyrol du Sud. Au programme : la scène européenne centrale et de l’est. Retour sur l’un des plus gros évènements jazzistiques européens.
J’avais naïvement pensé que le Tyrol était l’apanage de l’Autriche. Grosse erreur. En Italie du Nord, dans une région partitionnée entre ses influences allemandes et italiennes, j’en découvre la partie sud. Le Südtirol Jazz Festival Altoadige fête cette année ses quarante ans. À sa tête, Klaus Widmann, épaulé par Max von Pretz et Roberto Tubaro sous l’égide de la Jazz Music Promotion Südtirol (JMP). En tout, dix jours de concerts principalement à Bolzano, et aux alentours – plus ou moins proches. C’est surtout un rendez-vous et une vitrine pour une jeune scène européenne dont la partie latine est toutefois absente, au profit de ses racines anglo-saxonnes, germaniques et slaves.
Pour ma part, je débarque dans la région le 30 juin au soir et j’ai à peine le temps de voir le concert de A Novel of Anomaly. Andreas Schaerer (v), Luciano Biondini (acc), Kalle Kalima (g) et Lucas Niggli (dm) travaillent autour du chant qui se laisse aller à la mouth trumpet et aux paroles polyglottes. Ambiance entre folk et rock. Changement d’air pour le Pauli Lyytinen Rabbit Hole, réuni autour de leur saxophoniste Lyytinen (saxes) accompagné par Andreas Stensland Løwe (p) et Mika Kallio (dm). Le groupe a fait de l’absence de basse sa force : sur un fond sonore permanent, épuré, les trois compères se jouent de la tension et balancent de l’effet. Nous voguons pour la deuxième partie de soirée dans une salle de concert au sous-sol d’une brasserie, où se tiennent les concerts des groupes les plus expérimentaux du festival. J’y vois ici Other:m:other, un des meilleurs groupes de ce festival. Le trio est composé d’Arthur Fassy (Moog), Jul Dillier (piano preparé) et de Judith Schwarz (dm). Inspiré par la musique industrielle et répétitive, le groupe fabrique des boucles sonores de bric et de broc. Leur musique rassemble petites pièces bruitistes et l’énergie du rock dopée à l’électronique moogienne.
Pour le vendredi 1er juillet, j’ai le plaisir de pouvoir prendre le téléphérique qui m’amène au Parkhotel Holzner, dans les montagnes. C’est Matthias Loibner (vielle à roue) et Lucas Niggli (dm) qui s’occupe des festivités. Le duo a blindé sa vielle d’effets pour étirer la masse sonore et créer des atmosphères qui s’enchaînent gentiment. Leur musique résolument folk gagne quand la batterie s’affirme et rentre dedans, mais le concept s’épuise à la longue. Retour au bercail le vendredi en fin d’après-midi pour voir le groupe le plus pop de cette édition : Frank Frank Frank, un trio féminin vocal composé de Stina Koistinen (voc), Anni Elif (voc, synth) et Amanda Blomqvist (voc, dm). Il y a quelque chose de très absurde et de second degré dans la musique de Frank, qui se ne prend pas au sérieux, et qui se moque des conventions. Pour autant, ça reste un peu trop sage… Sur le Base camp du soir, à 21h00, se tient le concert du Euregio Collective & Guests, sorte de grande réunion de toute la jeune scène jazz du festival qui a travaillé sur quelques morceaux des répertoires des uns et des autres, réarrangés pour le big band. Parfait pour qui ne connaîtrait que peu les différents protagonistes de cette musique. C’est l’un des meilleurs concerts de ce festival : les compositions sont inventives, bien caractéristiques de ce mélange entre groove et free jazz. Fin de soirée avec Lampen et l’un des guitaristes les plus célèbres ici et l’un des plus présents sur le festival, Kalle Kalima, accompagné par Tatu Rönkkö à la batterie. Le duo fonctionne comme un Black Keys façon free jazz, très brut et très rock.
Pour le samedi 2, je me rends à l’hôtel Mondschein pour un groupe qui remplace au pied levé Edi Nutz : c’est un combo composé de Kalle Kalima, Jelena Kuljić (voc) et du trompettiste Matthias Schriefl. La formation, montée sur l’instant, déroule un dialogue voix-guitare rubato avec des pièces type spoken word, rap, ballade, poèmes… Très très bon, le trio sur le Base camp du soir, Equally Stupid. On y retrouve Pauli Lyytinen, Sigurdur Rögnvaldsson (g) et David Meier (dm). Un trio très rock et très free, entre Rage against the machine, Zappa, et Weather Report – est-ce que l’une des compositions « Birdlife », tient du hasard ? – qui n’hésite pas à rentrer dedans. La petite pastille traditionnelle est tenue par Die Strottern & JazzWerkstatt Wien, une association entre deux chanteurs dans la tradition viennoise et un ensemble de jazz. J’aime beaucoup la musique et la façon de chanter de Klemens Lendl, même si je regrette de ne pas comprendre l’autrichien. Selon Isabella, une rencontre du festival, c’est un humour très particulier – les gens rient beaucoup pendant le concert – sorte de je m’en-foutisme léger et un peu trash et noir. Je termine cette troisième soirée par le concert de Synesthetic 4 avec Vincent Pongrácz (cl), Peter Rom (g), Manuel Mayr (b) et Andras Lettner (dm). Très groove, très ambient, très second degré mais le jeu psychédélique de Pongrácz et Rom, ainsi que leur charisme sur des arrangements mi-écrits mi-free, me plaisent.
Pour le dimanche, je finis tranquillement avec KUU !, où l’on retrouve Jelena Kuljić, Kalle Kalima, Frank Möbus (g) et Christian Lillinger (dm). Le groupe ressemble à Skunk Anansie où s’entrecroisent punk, rock et jazz. Plutôt composé de bénévoles et d’organisateurs, le dernier concert avec Reinier Baas (dj) dans son deejaying The Return of The Enormous Wizard Zendor. Pas de jazz, mais de la dance et du groove… Une belle manière pour le festival de terminer son quarantième anniversaire.