Entretien

Anke Verslype, de l’émotion à la mélodie

Entretien avec la batteuse belge Anke Verslype, en partenariat avec Jazz’Halo.

© Hugo Lefèvre

Anke Verslype (30 ans) était déjà sous le feu des projecteurs avec son projet de fin d’études, en 2020 au Conservatoire d’Anvers. Els Smedts, responsable de cours du département de jazz de l’APSchool of Arts, a présenté Anke Verslype comme un talent prometteur lors du Jazz Middelheim 2020. C’était la première du groupe aki, suivi d’un EP « Niobe » (2021) avec le guitariste Willem Heylen, le bassiste Ruben De Maesschalck et la harpiste Marjolein Vernimmen. Ils ont été chaleureusement accueillis par le public. Radio Klara a décrit ce disque comme « une musique narrative et instrumentale avec un son distinctif qui vous transporte vers un flux chaleureux et mélancolique ».
La sauce a pris et aki, désormais avec le clarinettiste Joachim Badenhorst, a été signé pour le premier album « nader » (2022) chez le label W.E.R.F. aki s’est ensuite vu offrir une tournée JazzLab à l’automne 2022. En décembre 2022, peu avant la fin de la tournée, nous avons eu cet entretien avec Anke pour faire le point.
(Traduction française : Diane Cammaert).

Anke Verslype © Hugo Lefèvre

Anke Verslype, née à Ieper, sait dès son plus jeune âge qu’elle veut jouer de la batterie. Elle va à l’école de musique et suit également des cours d’expression orale. Elle choisit finalement de se concentrer entièrement sur la musique et la batterie. Anke étudie d’abord au département pop et jazz du JazzStudio d’Anvers. Elle y suit les cours de Herman Pardon et son intérêt pour le jazz grandit. Elle a 23 ans lorsqu’elle commence à étudier la batterie au département jazz du Conservatoire d’Anvers avec Jan de Haas et Teun Verbruggen comme professeurs.

Anke Verslype : « Oui, en effet, il n’y avait pas beaucoup d’autres musiciennes, à part deux femmes au saxophone et puis les chanteuses. Pour la batterie, c’est complètement exceptionnel. Habituellement, on cite le nom d’Isolde Lasoen et récemment Karen Willems est apparue avec une tournée JazzLab. Ce serait bien qu’il y ait plus de modèles féminins pour la batterie. À Diest et à Aarschot où j’enseigne, les filles à qui je donne cours aiment beaucoup avoir un professeur de batterie féminin. »

j’aborde la batterie de manière musicale. Ce qui me plaît dans l’instrument ne dépend pas de la vitesse ou de la technique


- Vous avez obtenu votre diplôme en pleine période de pandémie… Vous êtes-vous posé des questions sur votre avenir en tant que musicienne ? Comment avez-vous géré cela ?

J’enseignais déjà pendant mes études. Les concerts sont devenus rares pendant la pandémie, avant de soudainement disparaître en raison du confinement. Heureusement, j’étais financièrement indépendante. J’ai eu de la chance, car j’ai pu continuer l’enseignement en ligne, ce qui m’a sauvée. Un ami au théâtre a dû arrêter son métier et a travaillé à La Poste pendant un mois. J’ai pu continuer la musique parce que j’avais un revenu et que je pouvais travailler à domicile. Il faisait beau et j’ai aussi pu lire beaucoup dans mon jardin. Cela a été une source d’inspiration. Ça a joué à mon avantage, parce que ça m’a permis d’écrire toute cette musique. Même si le Covid ne m’a pas inspirée directement ni apporté des idées de compositions.

- Quelles sont vos sources d’inspiration musicales ?

Au début, quand j’ai commencé à écouter du jazz, j’étais fan de Keith Jarrett et du batteur de son trio, Jack DeJohnette. Au Conservatoire, j’ai découvert Paul Motian et j’ai été fascinée par Joey Baron et Brian Blade.

- Comment décririez-vous votre style de batterie ?

Je suis peut-être moins technique ; j’aborde la batterie de manière musicale. Pour moi ce n’est pas une question de puissance ou d’impression. Ce qui me plaît dans l’instrument ne dépend pas de la vitesse ou de la technique. Je retrouve ce ressenti chez Paul Motian, par exemple.

J’ai débuté comme autrice-compositrice lors d’une formation « cabaret ». Je compose principalement au piano. Je suis à la recherche de mélodies qui m’inspirent, qui me touchent. J’ai pris des cours d’arrangement et de composition avec Dree Peremans et Bert Joris. Au début, je n’osais pas composer du jazz, mais maintenant je vais me lancer et voir ce qui en sort. Je veux continuer à chercher des sons et à explorer la technique. J’ai beaucoup appris du batteur américain Steve Clover qui habite à Berchem (une commune dans la banlieue d’Anvers – NDT). Pour lui, c’est aussi une question de sentiment. Et j’ai aussi beaucoup appris de Stijn Cools, bien que ses leçons aient été interrompues par le Covid.

Anke Verslype & aki © Hugo Lefèvre

- Votre groupe a un line-up inhabituel, comment l’avez-vous formé ?

Je cherche surtout à jouer avec des personnalités, des musiciens que j’aime écouter et qui me plaisent, avec qui j’ai un bon déclic. Qui ne sont pas non plus égoïstes. Tout le monde joue les uns pour les autres, nous sommes vraiment amis, nous nous emboîtons musicalement et en tant que personnes. Nous sommes un vrai groupe, d’où son nom : aki. Il y a Marjolein Vernimmen à la harpe. Elle a étudié la musique classique au Conservatoire d’Anvers où j’ai fait sa connaissance. Le guitariste Willem Heylen et le bassiste Ruben De Maesschalck étaient étudiants du département jazz. Je voulais obtenir un ensemble de sons particuliers avec toutes ces cordes. Willem est très musical et a une personnalité douce. Ruben est très doux également et communique sa gaieté au groupe. Pour les soli, j’ai voulu ajouter un instrument à vent. Pas de saxophone, plutôt la clarinette ou la flûte, car cela forme une belle combinaison avec la harpe. J’ai suivi Joachim Badenhorst pendant un moment et je l’ai entendu jouer avec Ruben Machtelinckx. C’était très mélodique, mais aussi très libre. Ça part dans tous les sens, c’est diversifié.

- Le chant semble aussi être un élément…

Je n’ai pas l’intention de chanter moi-même. Je me sens en sécurité derrière mon instrument. Si j’ai un micro devant moi et que je sens l’envie de chanter, cela peut peut-être m’arriver. Je l’ai fait dans le passé. Maintenant, je préfère me concentrer sur le jeu en lui-même. J’aime chanter les mélodies tout en composant. Mais sur le disque c’est Joachim Badenhorst qui chante au travers de sa clarinette, avec une voix spéciale. Nous chantons ensemble sur un seul morceau parce que je voulais incorporer une petite chorale sur ce morceau en particulier.

- Qu’est-ce qui vous inspire ?

Mon point de départ est le ressenti et l’émotion. Quand je vois le soleil tôt le matin, cela me donne un sentiment que je veux transmettre en musique. La littérature peut aussi être source d’inspiration, c’est comme ça que j’ai eu des idées en lisant Haruki Murakami. Quand je compose, je cherche toujours une mélodie. Je l’enregistre ainsi que le refrain qui l’entoure, la structure. Le reste du morceau reste assez libre et je l’approfondis davantage avec mes musiciens. Si j’écris quelque chose et que mes collègues musiciens ne l’aiment pas, nous n’en faisons rien. Ça doit plaire à tout le monde. Cette mélodie peut apparaître au début, au milieu ou à la fin, tant qu’elle y est entrelacée. Je veux faire de la musique que j’aimerais écouter moi-même. Et puis je suis super heureuse quand les gens aiment l’écouter aussi. Ils doivent inventer leurs propres histoires.

- Vous utilisez des titres néerlandophones frappants…

Si je suis inspirée pour un titre, ça me vient dans ma langue maternelle. Je ne pense pas qu’il soit juste de les traduire en anglais, uniquement parce que cela sonnerait international. Ces titres me sont chers et me viennent spontanément à l’esprit. Et si quelqu’un veut proposer un texte, je reste ouverte à la proposition.

- Vous êtes musicalement orientée et impliquée dans de nombreux projets…

aki reste ma priorité, bien sûr, mais je ne veux pas seulement rester dans ce cocon. Je veux penser plus largement et être ouverte aux musiciens à qui je peux apporter quelque chose. Par exemple, lors des sessions Sound in Motion, j’ai pu m’amuser pendant trois jours et découvrir ce que je pouvais faire d’autre avec la batterie…

Mon ambition est de pouvoir un jour vivre de ma musique


J’y ai joué en décembre 2021 avec Karen Willems et en octobre 2022 avec le guitariste Joe Morris, le saxophoniste Will Greene et la violoniste Elisabeth Klinck. C’était une expérience très spéciale de jouer avec des musiciens que je n’aurais pas rencontrés sans cela. C’était vraiment une découverte de jouer dans différents line-ups. Ce que j’apprécie aussi chez Sound In Motion, c’est le bel équilibre entre les musiciens femmes et hommes. C’est complètement différent de jouer quand on est la seule femme dans un groupe d’hommes. Avec la chanteuse Fien Desmet, je joue occasionnellement. Je suis responsable des parties de batterie dans ses chansons. Avec Chantal Acda j’ai enregistré quelques chansons pour Isbells. J’ai également travaillé pour le théâtre, Theater FroeFroe. J’ai également été impliquée avec le musicien polyvalent Jan Verstraeten. Au cours de ma dernière année de Conservatoire, j’ai travaillé sur un projet avec Adia Vanheerentals et sa musique. Nous avons enregistré dans le studio de Nicolas Rombouts. Mais l’album n’est pas encore sorti.
Si je peux utiliser ma créativité dans un projet, alors je le soutiens pleinement, j’aimerais la partager avec d’autres. J’ai également collaboré avec Jakob Bro par le biais du Conservatoire. Autre expérience : un arrangement pour big band que j’ai écrit et joué avec l’Antwerp Jazz Orchestra dirigé par Bert Joris et Chris Potter en tant que soliste.
L’année dernière, j’ai également suivi des cours de composition cinématographique. Je suis fascinée par ce que font les compositeurs de films, comme Max Richter par exemple. Si jamais je reçois une demande, j’accepterai volontiers ce défi !

Anke Verslype © Hugo Lefèvre

Le dernier projet est celui d’artiste en résidence chez Rataplan à Anvers. Je joue en duo avec le guitariste Bert Dockx, en partie de la musique que nous avons enregistrée ensemble et en partie complètement improvisée. J’ai demandé au bassiste Ruben De Maesschalck de construire l’approche harmonique. Le prochain projet en résidence sera encore plus grand avec Jozef Dumoulin, Lynn Cassiers, Frans Van Isacker, Yannick Peeters et Willem Heylen, entre autres. J’ai vraiment hâte d’y être.
Je joue aussi de la batterie pour les nouvelles compositions de Anna Muchin (son nom d’artiste étant Scarlett O’Hanna.).

- Quel sera le prochain défi ?

Mon ambition est de pouvoir un jour vivre de ma musique. Composer et continuer à intéresser les gens, c’est le défi. Après les EPs et l’album, je me concentrerai en 2023 sur le prochain disque avec aki qui sortira en 2024. En outre, je veux développer davantage ma propre identité musicale en utilisant de nouvelles idées. Nous allons essayer d’expérimenter avec une petite harpe, une harpe folklorique dont joue Marjolein Vernimmen. J’aimerais aborder le tout de façon plus acoustique, avec moins d’effets. Même si mes musiciens utilisent des pédales et que l’électronique se faufile toujours. Joachim Badenhorst sera de nouveau présent. J’inviterai également le joueur d’euphonium Niels Van Heertum. J’écoute aussi beaucoup de musique classique en ce moment. L’année dernière, j’ai assisté à un opéra où j’ai découvert Puccini, ce qui m’ouvre tout un univers.

par Bernard Lefèvre (Jazz’Halo) // Publié le 5 mars 2023
P.-S. :

Cet article est publié simultanément dans les magazines européens suivants, à l’occasion de « Now’s the Time » une opération de mise en avant des jeunes musiciennes de jazz et blues : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), London Jazz News (UK), Jazz-Fun (DE), Giornale della musica (IT), Written in Music (NL) et Donos Kulturalny (PL).

This article is co-published simultaneously in the following European magazines, as part of « Now’s the Time » an operation to highlight young jazz and blues female musicians : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), LondonJazz News (UK), Jazz-Fun (DE), Giornale della musica (IT), Written in Music (NL) and Donos Kulturalny (PL).

#Womentothefore #IWD2023