Entretien

Marjan van Rompay cherche sa « voix »

Entretien avec la saxophoniste belge en partenariat avec Jazz’Halo

Marjan van Rompay © Inside Jazz

La saxophoniste dirige son propre Quartet MVR, le Wolf trio, ainsi qu’une formation XL à trois voix, Soulflyer. Elle participe à différents projets avec l’auteur-compositeur Niels Boutsen / Stoomboot (Zandland), Q-some Band, et à un hommage à Aznavour (Merci Charles). Elle enseigne la musique à la Podium Academy de Lierre (Belgique). Marjan est maman de trois jeunes enfants et l’épouse du musicien Janos Bruneel, un contrebassiste fort demandé (Hamster Axis Of The One-Click Panther, Gwen Cresens, Don Marsh V, Bert Joris ft. Sam Joris Octet, Casimir Liberski ReTRio, EMILE, …) qui est également impliqué de manière créative dans son quatuor.

Le récent album du Wolf trio, Circles, avec le pianiste Wout Goorisen et la chanteuse Fien Desmet, a été salué par la critique. Un fan parlait d’un timbre de velours : « La voix sphérique et rêveuse met en valeur le piano intime et des lignes de saxophone mélodiques contrastées… Le trio Wolf fascine par sa simplicité apparente, les superpositions profondes et sa rafraîchissante musicalité contemporaine ».

- Le choix du saxophone s’est imposé à l’âge de 10 ans lorsque vous avez débuté l’école de musique.

Je trouvais le saxophone tellement cool et ça me faisait beaucoup d’effet ! L’instrument m’a amenée au jazz et à l’improvisation. J’ai découvert le jazz en l’écoutant. L’un des premiers disques que j’ai empruntés à la médiathèque était Worlds d’Erwin Vann avec Kenny Wheeler et Norma Winstone. J’avais alors 13 ans. À 18 ans, j’ai souhaité élargir mes horizons et j’ai suivi les stages de jazz de la Fondation HaleWijn à Dworp. C’est ainsi que je suis entrée en contact avec des musiciens étrangers. J’ai donc décidé de poursuivre mes études au conservatoire de La Haye. John Ruocco y donnait des cours, ce qui a été décisif dans mon choix. Il y avait également le bassiste Henry van de Geyn, le professeur de saxophone Rolf Delfos, le tromboniste Henk Huizinga pour les cours d’arrangements ainsi que le pianiste Eric Gieben, non seulement très bon professeur de piano, mais également très bon pédagogue en général. Nous étions cinq étudiants en saxophone. Bien sûr, j’ai dû m’imposer dans un monde d’hommes. Jouer du jazz ou du saxophone est quelque chose de très personnel. Chacun y ajoute sa voix. Le fait d’être une femme ou un homme exerce une influence. C’est une extension de votre personnalité. Il y a beaucoup d’authenticité et je pense que cela s’entend.

- Comment définiriez-vous votre son ?

Il y a trois choses qui ont déterminé cela. La première était John (Ruocco), qui m’a noyée d’informations et qui m’a beaucoup appris. À 18 ans, je me suis accrochée à toutes ses connaissances et j’ai essayé de les comprendre. En brassant le tout, j’ai cherché ma propre voie. Cela a favorisé ma prise de conscience et réduit mon envie de copier autre chose. La deuxième chose, c’est la composition. Le fait de composer est un puissant moyen d’expression. Cela a façonné mon identité de musicienne. La troisième enfin provient de mon entêtement.

- Comment avez-vous complété votre apprentissage ?

Hormis Eric Giebenen et Henk Huizinga, j’ai profité des cours du saxophoniste américain David Binney, une personnalité un peu sous-estimée. Sa musique me plaît. La musique d’Erwin Vannop (Worlds), ainsi que celle de Kenny Wheeler (Angel Song), m’ont inspirée.

Marjan van Rompay © Hugo van Beveren

- Comment êtes-vous arrivée à votre premier album Silhouette ?

C’était mon travail de fin d’études à Anvers, où je suis allée étudier après La Haye. Je préférais être diplômée dans mon propre pays en tant que master au conservatoire d’Anvers. C’est comme ça que j’ai déménagé ici. C’est ainsi qu’à 25 ans j’ai formé le Quatuor MVR pour Silhouette, avec Tony van Dionant, Janos Bruneel et Bram Weijters. Un deuxième album Comfort, Solace, Peace a suivi en 2015 avec Thomas Decock à la guitare et Wout Gooris au piano. Je connaissais Wout depuis mes 16 ans lorsque nous avons formé le tout premier groupe d’Acoustic Illusion avec Toni Vitacolonna et Dries Laheye. Avec Wout, j’ai aussi créé le Wolf Trio qui comprend aussi Fien Desmet au chant.

- Vous avez aussi une fascination pour les voix.

J’ai réalisé jadis un disque avec un auteur-compositeur-interprète, Nils Boutsen Stoomboot, Zandland, qui tourne autour du chant et des paroles. J’en ai écrit la musique et j’ai vraiment aimé ça. La voix alto féminine m’inspire. Sur mon deuxième album, c’était Anne Verlinden ; avec Wolf, c’était Fien Desmet. J’essaie aussi d’imiter les voix sur mon alto. Quand j’écoute de la musique, je suis particulièrement fascinée par les voix. Les chanteurs et chanteuses peuvent vraiment me surprendre : j’essaie d’imiter leur voix avec mon saxophone. Je cherche ce mélange avec Fien dans Wolf.

Pendant la pandémie, j’ai lancé un concert virtuel avec un grand line-up, Soulflyer, qui est une composition de mon quatuor et Wolf en quintette avec Ewout Pierreux au piano et Tim Finoulst à la guitare. Ainsi que des membres réguliers : Janos Bruneel à la basse, Tony Dionant à la batterie et en plus trois chanteurs : Merijn Bruneel, le frère de Janos, Sara Raesen et Fien Desmet. Je trouve que l’interaction des chœurs des chanteurs avec le saxophone excite l’imagination… Il est difficile pour l’instant de faire passer ce line-up en termes de budget et d’encadrement pour un développement ultérieur, mais j’y pense beaucoup.

Quand j’écoute de la musique, je suis particulièrement fascinée par les voix. Les chanteurs et chanteuses peuvent vraiment me surprendre : j’essaie d’imiter leur voix avec mon saxophone.

Avec Ewout, j’ai joué occasionnellement, encore récemment avec le MVR Quartet en novembre, au Jazz in the Atomium, mais nous n’avons pas encore enregistré ensemble. Avec Wolf, la composition du groupe reste Wout, Fien et moi. Avec mon quatuor, le line-up du futur sera : Ewout au piano au lieu de Tim Finoulst et comme toujours Janos et Toon. Je m’inspire du trio Wolf pour le quatuor. Tous deux sont très instructifs. Wolf a une palette sonore différente, sans basse ni batterie, avec de la place pour l’interaction individuelle, en solo ainsi qu’en duo ou en trio. Un deuxième disque va certainement venir.

- Vous cherchez toujours…

Oui, je suis toujours en train de créer, de composer. J’évite de me répéter. En suivant une voie authentique, j’essaie toujours de mettre de nouveaux accents, d’aller plus loin, de m’enrichir. Depuis que je suis diplômée, mon son a beaucoup changé, j’ai vécu toute une évolution. Mon travail est très personnel : quand vous m’entendez jouer, vous savez instantanément que c’est moi.

Si vous ne vous entraînez pas régulièrement avec votre instrument, votre son disparaît très vite.

La vie est ce qu’elle est : j’ai une famille, trois jeunes enfants, et je travaille comme professeure de musique. Je ne voudrais pas changer de vie, mais c’est beaucoup de choses à organiser. J’ai du mal en ce moment à faire la promotion de ma musique, la mise en scène et l’encadrement. Je fais tout moi-même. Même si je n’ai pas été activement impliquée dans la gestion du label… Je devrais aussi faire un travail d’enregistrement et de promotion. D’autre part, le lien avec mon instrument est important. Il me donne satisfaction quand je m’aperçois que je reste à un bon niveau. Si vous ne vous entraînez pas régulièrement avec votre instrument, votre son disparaît très vite.

J’ai acheté mon saxophone actuel pendant ma première année au conservatoire, un Selmer Mark VI. Je joue encore dessus, mais je le teste avec des becs différents. Si je devais perdre ce saxophone, je le regretterais. Je sais où ajuster l’intonation et après je n’ai plus à y penser. Avec un nouvel instrument, je devrais prendre de nouvelles habitudes.

- Travaillez-vous certaines techniques ?

Je me suis consacrée, avec le saxophone classique, aux quarts de ton, avec Bart Van Beneden, les polyphonies et tout cela. J’ai également rencontré le saxophoniste Mark Turner et Matthias van den Brande. Je continue à chercher de nouvelles inspirations.

- Qui suivez-vous musicalement et qui vous inspire ?

Les compositeurs que j’écoute en ce moment sont entre autres Nick Drake, Cold Specks. En jazz, David Binney, Lee Konitz, mais aussi Sonny Stitt, et évidemment Charlie Parker. Dans la jeune génération, j’écoute Ben van Gelder. Et plus localement, Ben Sluijs, qui m’a donné cours.

Marjan van Rompay © Hugo van Beveren

- Vous êtes également impliquée dans divers projets, notamment autour de Charles Aznavour ?

Il s’agit d’un hommage nostalgique créé à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Aznavour, que nous jouerons dans le Fakkeltheater [1]. Il est dirigé par Herman van Hove, avec la chanteuse Lissa Meyvisen, le chanteur Hans Peter Janssens accompagné par l’orchestre Les Bohémiens avec Lester van Loock au piano, Tom Willems à la guitare, Janos Bruneel à la contrebasse, Peter Ploegaerts aux percussions et moi-même au saxophone. C’est un événement assez unique, pas vraiment jazz. Les arrangements sont fixes, mais en tant qu’unique instrument à vent, j’y ai trouvé ma propre voix et c’est plaisant.

Il y a d’autres projets spéciaux : Zandland avec Stoomboot, pour lequel j’ai écrit de nouvelles chansons et Zulema’s Mamboo Queens. En avril, je joue en tant qu’invitée avec No Wasabi, Rebekka de Bockstael et Machiel Heremans pour All You Can Jazz à Lierre. Toujours en avril, je jouerai avec le Q-Some Bigband et Daniel Migliosi au Baixu et à la Schunfabriek au Luxembourg. En octobre, le projet se poursuivra avec Q-Some Bigband et une chorale de 20 membres.

- Quelles saxophonistes femmes vous plaisent à l’échelle internationale ?

Dans mon propre réseau, je pense à Stéphanie Francke, Choko Igarashi et Elly Brouckmans parmi les saxophonistes féminines.
Celles qui m’impressionnent au saxophone au niveau mondial sont Melissa Aldana, Tia Fuller, Tineke Postma. Plus largement, j’aime aussi écouter Elsa Pinderhughes (flûte et voix), Ingrid Jenssen à la trompette et la chanteuse pakistanaise Arooj Aftab.

- Quel est l’artiste / saxophoniste qui vous a laissé une forte impression lors des concerts que vous avez vécus ?

Le concert le plus récent de l’année dernière a été donné à Bozar par le pianiste de jazz Gerald Clayton avec un hommage au peintre Charles White, « White Cities ». C’était avec Marquis Hill à la trompette, Joel Ross au vibraphone, Jeff Parker à la guitare et Logan Richardson au sax alto, quelqu’un que j’apprécie vraiment. Il jouait « straight alto » et ça sonnait vraiment bien. La composition du groupe sans batterie et sans basse donnait une très belle texture et tout le monde donnait sa couleur à sa façon à son moment… C’est sympa lorsque tout le monde prend sa place de façon très organisée.
J’ai aussi des souvenirs de la performance en 2008 au Bimhuis de Miguel Zenon avec Joe Lovano au ténor avec SF Jazz Collective. En 2009, Wayne Shorter au Lantaarnvenster de Rotterdam. Au North Sea Jazz, Klaus Gesing Trio avec Norma Winstone et Glauco Venier m’ont impressionnée. Au Jazz Middelheim, j’ai trouvé Charles Lloyd brillant.

- Quels rêves avez-vous encore ?

Jouer ma musique et/ou me produire en public, c’est déjà vraiment génial. Et bien sûr, je rêve d’une belle tournée avec le grand groupe, le quatuor et les chanteurs, Merijn, Fien et Sara et moi-même au saxophone. Je pense qu’il est particulièrement important de passer mon temps à développer des projets avec mes propres amis musiciens. Mais si je peux rêver d’un travail au niveau international, je pense au chanteur-compositeur britannique Fink (Fin Greenall - NdlR), basé à Berlin, avec qui j’aimerais collaborer en tant que producteur.
En tout cas, je veux me concentrer principalement sur la composition et la réalisation de mon propre travail. J’étudie toujours les standards, mais sur le prochain album du quatuor, il y aura une adaptation de « Blue In Green » de Janos Bruneel. Je continue à me chercher. Tout comme le projet « Merci Charles » qui n’est pas un projet personnel, mais auquel je peux donner une touche personnelle.

(Traduction Diane Cammaert)

par Bernard Lefèvre (Jazz’Halo) // Publié le 8 mars 2024
P.-S. :

Cet article est publié simultanément dans les magazines européens suivants, à l’occasion de « Giant Steps » une opération de mise en avant des jeunes musiciennes de jazz et blues : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), London Jazz News (UK), Jazz-Fun (DE), Giornale della musica (IT), In&Out Jazz (ES) et Donos Kulturalny (PL).

This article is co-published simultaneously in the following European magazines, as part of « Giant Steps » an operation to highlight young jazz and blues female musicians : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), LondonJazz News (UK), Jazz-Fun (DE), Giornale della musica (IT), In&Out Jazz (ES) and Donos Kulturalny (PL).

#Womentothefore #IWD2024

[1C’était au mois de janvier, au moment de l’interview – NDLR.