Chronique

Antoine Hervé

Complètement Stones

Antoine Hervé, p ; François Moutin, cb ; Philippe Garcia, dr

Label / Distribution : RV Productions/Harmonia Mundi

Tout aurait commencé par un bœuf avec les Stones au studio Pathé Marconi de Boulogne Billancourt, quelque part au milieu des années 70… Le pianiste Antoine Hervé en a gardé la mémoire, et propose aujourd’hui cette aventure musicale avec une belle rythmique plus qu’éprouvée.

Le pari était évidemment risqué. Le jazz est une émulsion. Il intègre sons, rythmes et instruments des quatre points cardinaux. Il est lui-même, à sa façon, une synthèse où l’on repère, au gré de ses cheminements, un accent, une parodie, une filiation ou un emprunt. Et quand ce qui est déjà une fusion récupère, pour le réinterpréter, un genre musical, la difficulté surgit. Combien de tentatives ont échoué de la sorte ? Le récent travail de Luca Aquino (OverDOORS) en est, de notre point de vue, l’illustration. Car de deux choses l’une : ou la fidélité est de mise (et l’entreprise sera souvent vaine), ou l’original est noyé (et à quoi bon le récupérer s’il est méconnaissable ?).

Complètement Stones échappe à ces deux écueils. Non seulement les compositions de Jagger-Richards sont pleinement maîtrisées – on sent qu’elles ont résonné plus d’une fois dans la chambre d’Antoine Hervé – mais elles montrent, à travers ce disque, qu’elles passent facilement d’un univers à un autre pour en créer un troisième. La part du blues dans les premiers 33-tours des Stones a certainement facilité cette appropriation naturelle (le très riche « Factory Girl » le montre amplement). Cette douzaine de morceaux – qui, rappelons-le, sont avant tout des chansons – ne trahit ni ne fige ce qui reste aujourd’hui une œuvre majeure du XXe siècle. Antoine Hervé a décelé, pour « Angie », « Wild Horses » ou « Sympathy For The Devil » le petit fil rouge identitaire qu’il a déroulé jusqu’à l’improvisation personnelle.

La beauté de ce disque tient à la richesse des compositions « complètement Stones » et à ce qu’elles laissent entrevoir de possibilités harmoniques apparemment infinies. La liberté est bel et bien là. Le trio jazz n’est pas la formation idéale pour jouer « Can’t You Hear Me Knocking » ou « Paint it Black » (les guitares de Brian Jones ou Keith Richards semblent plus appropriées). Cependant, dès le début on sent que ça marche, que les Stones sont là et qu’il s’agit bien de jazz : structure classique exposant le thème, libre envolée personnelle, retour au thème. François Moutin et Philippe Garcia achèvent de nous convaincre que ce disque est la plus belle interprétation des Rolling Stones entendue à ce jour. Que tous ceux qui s’aviseront de se lancer dans la téméraire aventure de jazzifier le rock l’écoutent attentivement : il est aujourd’hui LA référence.