Scènes

Antoine Polin Quintette & Dave Douglas 3

Du 23 octobre au 21 novembre, Le Petit Faucheux (Tours) accueille le festival Emergences. Le concert d’ouverture de l’édition 2008 était ainsi consacré au quintette de Antoine Polin puis au nouveau trio de Dave Douglas.


Du 23 octobre au 21 novembre, Le Petit Faucheux accueille le festival « Emergences ». La particularité de cette manifestation, organisée en collaboration avec Jazz à Tours, consiste à permettre à des artistes issus de la scène locale de côtoyer des musiciens reconnus. Le concert d’ouverture de l’édition 2008 était ainsi consacré au quintette d’Antoine Polin puis au nouveau trio de Dave Douglas. Viendront ensuite des soirées consacrées à Charlène Martin, à la découverte de Jimmy Giuffre ou encore à Barry Guy et Evan Parker invités par le groupe Xasax.

Pour la troisième saison consécutive, Jazz à Tours et Le Petit Faucheux s’associent pour la mise en œuvre de « résidences régionales », destinées à aider des musiciens locaux à développer un projet ambitieux et à le présenter sur scène.

Antoine Polin © Cédric Piromalli

Après une semaine passée à travailler sur le projet Pleased To Meet You, Antoine Polin et ses compères présentent leur nouveau répertoire, inspiré de l’univers si particulier de Bill Frisell, ce grand guitariste américain qui navigue à la croisée des chemins de la country, du jazz, du blues et des musiques de film. Autour du jeune guitariste, Cédric Piromalli tient le Fender Rhodes, Gaël Riteau est à la trompette, Nicolas Le Moullec à la basse électrique et Mathieu Desbordes à la batterie. D’emblée, Polin prouve qu’il connaît son petit Frisell illustré par cœur : le jeu, les effets, les compositions… tout rappelle son univers et on sent un large éventail d’influences nourrir au cœur cette musique éclectique mêlant avec bonheur jazz et rock, entre autres. Très électrique : le Rhodes, la basse, la guitare utilisent abondamment les pédales d’effets, le groupe alterne moments très mélodiques, mouvements éthérés, passages endiablés, quasi bruitistes et grooves entraînants. Cet hommage est une vraie réussite et les musiciens qui entourent Polin y sont pour beaucoup, notamment Gaël Riteau et Nicolas Le Moullec. On est proche de Frisell sans avoir l’impression d’écouter une copie. D’où l’intérêt de laisser aux musiciens le temps de construire et roder un répertoire, d’aller au bout de leurs idées. De plus, cette collaboration ne s’arrête pas là : le quintette a présenté son projet une seconde fois au Petit Faucheux et les deux concerts ont fait l’objet d’enregistrements qui permettront à Antoine Polin de monter une maquette. A suivre donc !

La deuxième partie de la soirée est consacrée à un ancien compère de Bill Frisell [1] : Dave Douglas présente son nouveau trio, constitué de Scott Colley à la contrebasse et de Mark Feldman au violon. Comme souvent chez lui, ce nouveau groupe est l’occasion de rendre hommage à l’une des grandes figures de l’histoire du jazz, disparue récemment, Jimmy Giuffre [2] . Il faut noter que ce trio, initialement dénommé « Magic Circle » avant de devenir le « Dave Douglas 3 », existe sous différentes incarnations : une « Keys Version » regroupant Douglas, Bryan Carrott (vibraphone) et Uri Caine (piano), qui s’est notamment produite au Vision Festival 2008, une « Wind Version » avec, outre trompettiste, Luis Bonilla (trombone) et Donny McCaslin (sax), qui a joué en Italie durant l’été 2008 et, donc, le trio de ce soir-là, la « String Version ».

Dave Douglas © Hélène Collon/Vues Sur Scène

La disposition des trois musiciens sur la scène annonce la couleur : Douglas à droite, Colley au centre, Feldman à gauche, très près les uns des autres. Proximité, complémentarité des instruments… tout est en place pour favoriser l’échange. De plus, le concert est quasi acoustique, ce qui permet au spectateur de profiter pleinement des timbres, point important quand on connaît la prédilection pour les cordes affichée par Dave Douglas depuis le début de sa carrière, sa sonorité de trompette se mariant magnifiquement avec le violon et la contrebasse.

La musique du « Dave Douglas 3 » est une sorte de jazz de chambre, à mi-chemin de ses deux précédents groupes : son « quintette à cordes » et le quatuor de Charms Of The Night Sky. Toutefois, elle est nettement marquée par le swing et le blues ; en témoignent Colley et son drive magnifique, Douglas et ses growls, ou, chez Feldman, une profonde connaissance de l’histoire du violon jazz. Le groupe connaît son affaire et s’en amuse merveilleusement. La musique rebondit de l’un à l’autre, les musiciens alternent les passages à trois, à deux et en solo. Le maître mot est le jeu, le format trio favorisant les questions-réponses. On sent que les musiciens prennent beaucoup de plaisir. On se surprend à taper du pied, à sourire. On note également la maîtrise des nuances : acoustiques, entre puissance instrumentale et feulements [3], dans les rythmes, dans les couleurs grâce aux associations instrumentales. L’hommage à Giuffre est là, dans cette liberté de tous les instants, les digressions constantes, les compositions qui s’épanouissent dans toute leur splendeur.

Mark Feldman © Patrick Audoux/Vues Sur Scène

Dave Douglas est visiblement heureux de retrouver ce compagnon de longue date qu’est Mark Feldman, et de jouer avec ce contrebassiste excellent, capable d’assurer dans toutes les situations. Le trompettiste est détendu, il prend le temps de parler à la salle entre chaque morceau, dans un français excellent. Il fait une blague sur le vin, nous parle d’Obama. Le public en redemande et le trio lui offre deux rappels bien dans l’esprit de la soirée : le premier autour d’une chanson à boire, le second avec une reprise de “Blue Heaven” [4].

Pour les aficionados du Douglas des débuts, de celui de Parallel Worlds, du « Tiny Bell Trio » ou de Charms Of The Night Sky, voilà un retour retentissant. Amoureux de musique fraîche, ludique, inventive, pleine de surprises, de groove et de blues, ce trio est pour vous. En espérant que Douglas enregistrera avec ce groupe et reviendra nous présenter ses autres incarnations.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 17 novembre 2008

[1Qui était était l’invité de Dave Douglas sur le disque de son quintette « Strange Liberation » (2004, Bluebird/RCA).

[2Douglas a consacré de nombreux groupes à de grands noms du jazz : il a ainsi enregistré trois albums avec son sextet en hommage à Booker Little (In Our Lifetime, New World, 1995), Wayne Shorter (Stargazer, Arabesque, 1997) et Mary Lou Williams (Soul On Soul, Bluebird/RCA, 2000), autour d’un répertoire constitué de compositions et de reprises. Il a également rendu hommage à Joni Mitchell avec Moving Portraits (DIW, 1998). Récemment, et même si ces projets n’ont pas encore fait l’objet d’enregistrements officiels, Dave Douglas a monté deux groupes en hommage à Don Cherry : « Symphony for Improvisors » (avec notamment Henry Grimes) et le « Golden Heart Quartet », groupes avec lesquels il s’est produit dans de nombreux festivals. Enfin, il a monté un groupe en hommage à Randy Weston : « Blue Nile, The Music Of Randy Weston ».

[3Par exemple, ce passage durant lequel les musiciens jouent le plus doucement possible, ou comment faire le silence absolu dans une salle.

[4Sur Soul On Soul, l’album hommage à Mary Lou Williams.