Scènes

Emile Parisien Quartet au Pannonica

Retour sur le concert nantais de l’Émile Parisien Quartet, une des meilleures choses qui soient arrivées au jazz français ces dernières années.


Après un troisième album intitulé Chien Guêpe sur le label Laborie, on attendait avec impatience de retrouver sur scène le quartet d’Emile Parisien, qui a le don de stimuler les oreilles et réveiller les sens. Le Pannonica (Nantes) fait salle comble pour accueillir ce groupe qui figure parmi les plus intéressants du paysage français actuel - pour ne pas dire européen - dont l’aventure a débuté au milieu des années 2000. Émile Parisien et Julien Touéry sont tous deux passés par le collège jazz de Marciac avant de s’allier avec leurs aînés (de peu) Ivan Gélugne et Sylvain Darrifourcq. Tous composent, et l’ensemble affiche depuis l’origine une personnalité affirmée, moderne, tout en s’inscrivant dans la longue tradition des quartets de Wayne Shorter ou John Coltrane, avec un grand sens rare de l’interplay, des rebondissements et de l’humour.

Photo H. Collon/Objectif Jazz

Le quartet arrive à maturité, comme le laissait entendre l’excellent Chien Guêpe (2012) - impression confirmée par ce concert. Le jeu collectif s’envole, les éléments s’imbriquent naturellement et le tout transcende les qualités individuelles. Cela tient du miracle, mais l’architecture parvient à allier d’une part la complexité rythmique et mélodique, et d’autre part une pulsation quasi instinctive, irrésistible, au prix d’un engagement physique et mental de tous les instants. Les compositions, exigeantes, sont très marquées rythmiquement, avec de nombreux décalages, notamment entre le piano – préparé ou non – de Julien Touéry, la contrebasse puissante et déliée d’Ivan Gélugne et, bien sûr, la batterie de Sylvain Darrifourcq, magnifique bric-à-brac percutant, incisif et moteur. Quant au leader, il semble prendre plaisir à écouter jouer ses acolytes, et leur laisse beaucoup de place. Puis, lorsqu’il embouche son saxophone, c’est pour prouver une fois de plus qu’il compte parmi les grands : maîtrise technique, évidemment, mais aussi et surtout une vraie personnalité dans l’expressivité du jeu, la construction des solos, le tout avec un son superbe, que ce soit au ténor ou au soprano.

Le concert permet d’étirer les morceaux, histoire d’aller encore plus loin dans la recherche collective, d’installer chaque atmosphère, en prenant le temps de creuser de nombreuses pistes et idées. « Dieu m’a brossé les dents », « Sopalynx » ou « Sanchator de profundis » illustrent bien le cheminement du groupe. « Chocolat-citron », pièce-phare de l’album à la rythmique hallucinogène, dont le quartet livre ici une version exceptionnelle d’intensité, et l’enchaînement « Haricot-guide » - « Chauve et courtois », compositions de Darrifourcq qui multiplient les allers-retours entre plusieurs styles, reprennent les codes du genre pour mieux les transgresser. Contrebassiste et batteur échangent regards et sourires complices : leur dialogue riche se joue constamment sur le fil.

On s’étonne qu’une musique aussi inventive, ambitieuse et évolutive, qui sait rester enivrante, entraînante et humoristique à la fois, ne soit pas plus largement accueillie sur les scènes françaises. Trop frileux, les les programmateurs ? Espérons que le Prix que vient de décerner l’Académie du Jazz à Émile Parisien nous permettra de suivre son quartet dans la durée car son histoire mouvante est passionnante.