Sur la platine

April Records, le printemps à Copenhague

Présentation d’un jeune label danois féru de pop.


Nouveau venu dans l’effervescence de la musique du nord de l’Europe, le label April Records s’inscrit dans une esthétique au premier abord assez sage, mais qui lorgne avec insistance du côté de la pop music et des tentations électroniques. Panorama non exhaustif des parutions récentes de cette maison de Copenhague.

Jolie surprise de ce jeune label danois, la chanteuse Nana Rashid offre un premier album très personnel où des figures comme Nina Simone ou même Odetta sont convoquées, dans une atmosphère où la douceur fait jeu égal avec une tension dramatique évidente. « Poor Blue Betty », premier morceau de l’album, offre un dialogue riche entre la chanteuse et le pianiste Benjamin Nørholm Jacobsen. Plus loin, avec « Mother, Father », Rashid, de sa voix très profonde voire tannique, construit aux franges du blues en compagnie du batteur Lasse Jacobsen. Celui-ci contribue beaucoup à la grande rigueur rythmique d’un album à l’élégance simple qui sert une musicienne capable sans nul doute de s’aventurer dans des chemins moins balisés. En témoigne « They Call it Love » et son credo soul évident. Un beau quartet pour accompagner une chanteuse qui porte un projet au classicisme revendiqué et très bien réalisé.


La voix est au centre d’April Records. Avec Tigeroak, le Danemark tient un orchestre capable de nourrir durablement la sono mondiale et de faire plaisir à tous les programmateurs radios avides de sons exotiques et néanmoins mondialisés. Enregistré pour partie aux studios Abbey Road, autant pour la couleur très chaude de l’ambiance musicale que pour l’image pop revendiquée, Living And Living présente la voix soyeuse d’Anna Prinds et son duo avec Laurits Steen Møberg, multi-instrumentiste et producteur plénipotentiaire. Sur un disque aux choix artistiques revendiqués, plus proche de la néo-soul music que du jazz, de nombreux invités, notamment Ditte Warner Bech à la flûte sur « People », Tigeroak livre un album très produit et sans grande surprise, mais qui nourrit un label aux ambitions luxueuses.


À l’image de cette recherche de la pépite sonore qui s’inscrit durablement dans la sono mondiale, notons un disque aussi étrange qu’enthousiasmant ayant attiré l’oreille du DJ Gilles Peterson dès l’été dernier et qui résume assez directement la place que compte occuper le label April Records : Tutku, mélange a priori improbable de l’orchestre de rock anatolien Kalaha avec le Aarhus Jazz Orchestra, est une des belles surprises du label. Objectivement, tout les ingrédients sont réunis, de la voix très sucrée de Hilal Kaya aux claviers vintage de Mikael Elkjær, en passant par la densité du Big Band qui donne à Tuktu l’image d’une grande fête qui s’affranchit des frontières. On songe de loin en loin aux ambiances revendiquées par un proche voisin finlandais, Jimi Tenor, qui aurait préféré les rivages turcs aux trépidations de l’Afrobeat. À écouter d’urgence.


Avec Current, le quintet Andorra nous emmène dans une dimension musicale qu’on attend davantage d’un orchestre nordique. Avec le travail de Peter Kolhmetz Møller aux différents claviers et de la rythmique impeccable de Nikolaj Bundvig à la batterie, Andorra marche dans les pas de musiciens férus d’électronique comme Bugge Wesseltoft. Avec « Mother Tongue », on mesure les choix très atmosphériques de l’orchestre qui convoque des images nocturnes, comme une longue nuit sans sommeil. C’est au trompettiste Mads La Cour que l’on doit ces couleurs vives et là aussi très luxueuses. On l’avait entendu il y a quelques années avec Søren Gemmer, et le trompettiste est sans conteste une figure incontournable de la scène nordique. Andorra est un orchestre aux ambitions pop, qui sait garder une certaine distance et une élégance de chaque instant, à l’image de « Kuriosa » où brille la guitare de Simon Krebs, entendu chez un autre trompettiste, le Polonais Tomasz Dąbrowski. Un disque comme une vitrine parfaite d’un label qui offre une lumière nouvelle sur la scène danoise.