Chronique

Aruán Ortiz Trio

Live in Zurich

Aruán Ortiz (p), Brad Jones (b), Chad Taylor (dm),

Label / Distribution : Intakt Records

Enregistré à Zurich en novembre 2016, ce concert fait suite à une tournée européenne pour ce trio nouvellement constitué. L’américain Aruán Oritz, encadré par la contrebasse de Brad Jones et la batterie de Chad Taylor, déroule un long processus pianistique subtilement construit dans lequel il traverse une variété de climats interagissants. Conduite en deux parties étendues dans lesquelles s’enchâssent des compositions personnelles, une pièce de Chopin (Etude n°6, op 10) et deux thèmes d’Ornette Coleman (“Open or Close” et “The Sphinx”), la performance creuse avec endurance l’éventail des obsessions du pianiste avant de conclure par un “Alone Together” qui ventile et adoucit le tout.

Pratiquant à plein régime le jeu de l’échange, les trois pointes de ce triangle néanmoins isocèle travaille un son charnu, gorgé de couleurs hétérogènes au service de l’expressivité du leader. Le piano est à l’honneur mais la section rythmique s’immisce ou s’échappe en permanence des propositions du clavier qu’elle réoriente avec un mordant constant et en fait une formation compacte et solide. Prenant patiemment le temps d’échafauder un matériau qui prend sa source dans le mbira de Taylor en introduction et évoque au passage les musiques afro-caribéennes - terreau d’origine d’Ortiz - le trio gagne peu à peu des contrées au romantisme robuste où s’égrènent les accords et les mélodies complexes.

Plus loin, la déconstruction de ces dernières découvre des domaines beaucoup plus arides dans lesquels le son se fait matière à partir de cellules rythmiques longuement martelées. Les couches se superposent en constructions algébriques puis finissent par se décaler tangentiellement. Cette surcharge non-figurative, associée à une impulsivité jamais prise en défaut, trouve un point d’équilibre entre luminosité et éloquence. Ce discours viscéral emmené par une virtuosité magnétique laisse le public dans un état de sidération dont il se libère par des applaudissements nourris.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 22 avril 2018
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