Sur la platine

Oliva, Rainey, Boisseau : l’art des trios

Quelques trios de piano liés musicalement aux trois musiciens d’ORBIT…


Photo © Gérard Boisnel

Si le nouveau trio que conduisent Stéphan Oliva, Sébastien Boisseau et Tom Rainey a tout de l’évidence, c’est certainement qu’il trouve son origine, certes dans une longue tradition orchestrale commencée il y a fort longtemps mais surtout dans les nombreuses expériences que ces trois musiciens ont vécues. Dans tous les sens, pourrait-on dire, et créant tous les croisements possibles.

Cités par Stéphan Oliva dans son entretien, les trios de Kenny Werner et Fred Hersch ont visiblement compté dans le parcours du pianiste français. On y entend deux musiciens inspirés et qui font le jeu d’une harmonie soignée au service de phrasés extrêmement mélodiques.


Werner, outre des collaborations diverses avec Archie Shepp, Lee Konitz, Charles Mingus ou Peter Erskine, conduit un trio de 1981 à 1995 avec Ratzo Harris à la contrebasse et Tom Rainey (qui a alors 24 ans). Ils signeront trois disques ensemble ; Ken Werner – Introducing The Trio (1988), Press Enter (1992), Gu-ru (1994), et Live at Visiones (1995) .

« Have You Meet Miss Jones » / Kenny Werner Trio (Gu-ru)


De la même génération que le batteur, un peu plus jeune que Kenny Werner, Fred Hersch est un autre orfèvre de l’instrument et adepte de la formule à trois. Sens de l’espace, subtilité infinie des nuances, couleurs raffinées, il fréquente lui aussi les baguettes d’un Rainey qui lui offre une propulsion faite d’un swing savant et d’audaces rythmiques parfaitement stimulantes.

De 1993 à 1997, au côté de Drew Gress, il enregistre plusieurs disques et participe à des collaborations diverses (avec orchestre de cordes ou avec Dave Douglas en tant qu’invité). En 1997, le Live at The Village Vanguard permet d’entrer dans la légende de ce lieu légendaire et de signer une superbe galette. Circulation de la musique, grâce et inventivité sont de mise.

« Evanessence » / Fred Hersch Trio


Difficile de ne pas citer Bill Evans comme père putatif de ces pianistes qui travaillent les atmosphères impressionnistes et l’art de la ligne. Stéphan Oliva, quant à lui, s’en réclame directement avec son premier trio piano-basse-batterie et le disque Jade Visions paru en 1996. Bruno Chevillon est à la contrebasse, François Merville à la batterie. L’approche est plus recherchée mais l’hommage évident. Clair-obscur, atmosphère en suspens mais sensuelle, les compositions de Bill Evans émaillent le répertoire, complété d’une autre de Scott La Faro qui donne son titre au disque :

« TTTT » / Stephan Oliva Trio


Bill Evans, Scott La Faro… Ne manque plus que Paul Motian pour retrouver le trio gagnant qui signa en 1961 les mythiques Waltz for Debby et Sunday at the Village Vanguard. C’est chose faite en 2000 et 2001 avec un autre trio d’Oliva qui réunit Bruno Chevillon et Paul Motian himself pour deux disques uniques. Fantasm - The Music of Paul Motian et Intérieur Nuit. Au contact de ce batteur minimaliste mais à fort pouvoir évocatoire, le pianiste déploie son sens de l’économie et un lyrisme noir qui trouve son double dans la basse de Chevillon. Élégance et abstraction se mettent au service d’une musique de l’intensité.

« Drum Music » / Stephan Oliva, Bruno Chevillon, Paul Motian


Plus jeune de quinze ans, mais très tôt bercé par le trio Joachim Kühn / Jean-François Jenny-Clark / Daniel Humair, Sébastien Boisseau a, lui aussi, été séduit par l’art du trio piano. Son jeu à la croisée du rythmique et du mélodique (comme chez son maître Jenny-Clark) trouve là le moyen de s’exprimer pleinement et de stimuler ses partenaires au bénéfice d’une musique toujours sensible.

Membre d’un trio de jeunes loups pétris de culture, il participe de 1997 à 2006 à la formation tourangelle Triade avec le pianiste et claviériste Cédric Piromalli et le batteur Nicolas Larmignat qu’on retrouve d’ailleurs en 2004 dans le nouveau quintet de… Stéphan Oliva Itinéraire Imaginaire. Quand on vous dit que tout se tient… Les formes sont plus ouvertes et n’hésitent pas à explorer des territoires brûlants. Passés ces moments, le trio aborde des terrains plus apaisés qui permettent à chacun de laisser entendre son chant intérieur.

« L’ardu » / Triade


Plus internationale cette fois, la participation de Sébastien Boisseau au trio du pianiste allemand Hans Lüdemann avec le Serbe Dejan Terzic à la batterie. Ils rejoignent eux aussi les problématiques évoquées à l’instant chez leurs collègues. Rooms Trio existe depuis 2010 et joue également des espaces. La musique circule en permanence de l’un à l’autre et entraîne l’auditeur vers des climats poétiques.

« Doux » / Hans Lüdemann, Sébastien Boisseau, Dejan Terzic