Chronique

Romain Dugelay Trio

Chimères

Anne Quillier (p), Simon Girard (tb), Romain Dugelay (bs).

Label / Distribution : Label 4000

Si la chimère est une idée poétique et irrationnelle née de l’imagination fertile et de l’art, le trio emmené par le saxophoniste baryton Romain Dugelay a cette capacité de lui donner vie, et de la faire exister dans le monde ouvert de l’imagination. C’est le cas de « Marmoquin », cette alliance génétique improbable de la marmotte et du requin, de la crainte qu’on inspire et de celle dont on se nourrit ; « un oxymoron de poils soyeux et de dents acérées », nous dit le texte qui accompagne le portrait, finement conduit par le piano parcimonieux et lointain d’Anne Quillier. Pas de place ici pour la puissance des basses du piano : c’est le baryton qui déchire la pulsation avec une élégance louvoyante soulignée par le trombone de Simon Girard, électron libre de cette série de Caractères, comme on dirait de La Bruyère.
 
Les portraits courts du trio ne s’étendent pas sur la fantasmagorie ou la drôlerie des choses ; les animaux dessinés par Ramataupia et qui accompagnent un disque court n’ont pas besoin d’histoires ou de justification, ils errent dans un éther tout proche souvent abrité par le piano, comme l’élégante « Tortache » qui constitue l’un des plus beaux spécimens proposés. Si le piano d’Anne Quillier, parfait dans cet environnement chambriste, est souvent à l’origine des couleurs et des climats, c’est souvent le trombone qui décide de sa liberté de mouvement. Quant à Dugelay, il agit en véritable naturaliste, à la fois aventurier et fin observateur dans un projet assez inattendu et plein de surprises où pointe parfois un léger trait d’humour hâbleur dans le saxophone (« Teckal »).
 
Habitué aux œuvres poétiques aventureuses avec Polymorphie, Romain Dugelay propose ici une forme d’apparence plus sage qui n’empêche pas pourtant une grande liberté. Avec ses compagnons, le saxophoniste promène son bestiaire de Chimères dans les recoins d’une imagination de contes de fées où il fait bon déambuler ; y croiser un improbable « Eléphon » qui orne la couverture de ce live-disque résulte d’une normalité sans effroi ni grotesque. Un pas de côté doux et agréable.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 novembre 2023
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