Scènes

Avishai Cohen’s Triveni au New Morning

“Thank you for coming out on a Tuesday night to support la musique”…


Photo © Ch. Charpenel

“Thank you for coming out on a tuesday night to support la musique” lance le trompettiste Avishai Cohen en veston, pantalon de satin et souliers vernis. La musique. Comment Avishai Cohen support-t-il la musique ? Il réunit un New Morning bondé, deux autres musiciens dévoués à la cause, il ferme les yeux, et joue des phrases simples et justes.

Il est étonnant, Avishai Cohen. Il n’a pas une tête de trompettiste (il est barbu !), il arbore un look de dandy rocker, et, diront certains, porte un nom de contrebassiste. Pourtant, pas de doute : sa musique est bien le jazz des vieilles coutumes, une façon d’embrasser la tradition avec humilité mais sans embarras. Pas la tradition qu’on récite ou révère le dos courbé, mais celle qu’on chérit avec le ravissement du collectionneur devant une antiquité rare parfaitement conservée. Celle des amoureux des mélodies sans âge (Il reprend « Good Bye Pork-Pie Hat », « Lush Life »), celle de Sonny Rollins jouant « Moritat » (une des nombreuses citations qui ont émaillé ses chorus) ou de John Zorn rendant hommage à Kenny Dorham. Celle de Don Cherry, dont il reprend « Art Deco » - vrai-faux standard à la grâce ingénue - en tout début de premier set, comme pour brandir la filiation.

Avishai Cohen soigne manifestement sa tenue vestimentaire, mais son jeu de trompette, lui, est exempt de la coquetterie qui est souvent la marque des trumpet heroes. Il ne cherche ni le timbre le plus mœlleux, ni l’arpège le plus raffiné : son truc à lui, c’est plutôt le son sans fard, la phrase évidente car méticuleuse, et par-dessus tout, la tendresse communicative. Jouer en trio n’est pas facile pour un trompettiste, et les exemples sont d’ailleurs peu nombreux (on pense au trio Haden/Cherry/Blackwell des Montreal Tapes ou au Pyramid Trio de Roy Campbell). Mais ce choix n’est pas chez lui une volonté bravache de virtuose - juste l’envie de créer un milieu propice aux confidences avec ses deux partenaires de tournée (ils ne figurent pas sur les disques), qui ajustent dans la concentration leurs personnalités assez différentes : primitivisme « hadenien » pour Yoni Zelnik, discrète et incisive complexité chez Justin Brown. À la fin du deuxième set, le leader invite le pianiste Yonathan Avishai, dont l’album Modern Times sort le jour même. Sa tradition à lui, plus littérale (block chords en trémolo à la Erroll Garner !), entraîne le groupe dans des échanges plus référencés mais excellents.

Deux sets d’une poésie frugale et touchante, la même histoire ancienne et immuable qui méritera toujours d’être à nouveau contée, que la mode soit aux pork pie hats, aux shiny stockings (composition de Frank Foster reprise ce soir-là) ou aux barbes de hipster.