Chronique

Avishai Cohen’s Triveni

Dark Nights

Avishai Cohen (tp, effets électr) ; Omer Avital (b) ; Nasheet Waits (dm) ; Anat Cohen (cl) ; Gerald Clayton (p, elp) ; Keren Ann (voc)

Label / Distribution : Anzic Records

Connu pour avoir travaillé avec le contrebassiste Omer Avital et homonyme d’un autre contrebassiste, Avishai Cohen « le trompettiste » pourrait être cerné d’une ombre double et intimidante. Du moins, on pourrait le craindre. Mais n’oublions pas que c’est à l’ombre de deux contrebasses que Coltrane a enregistré l’un de ses chefs-d’œuvre. Et c’est cette seconde option, même si on n’est évidemment pas dans les mêmes sphères, qui vient à l’esprit ici tant Dark Nights tient davantage du geste audacieux et décomplexé que de l’inhibition.

Le passé glorieux du jazz n’en est pas pour autant éclipsé. De grands anciens sont convoqués : Billy Strayhorn et Charles Mingus sont repris, la version de « I Fall in Love Too Easily » – chantée par Keren Ann – s’inspire sans ambiguïté de celle de Chet Baker, et « The OC » rend hommage à Ornette Coleman. Davantage en filigrane, le silhouette de Miles Davis période électrique traverse le disque, ainsi que le Freddie Hubbard de Red Clay, et Straight Life. Un œil sur les maîtres d’hier, un autre sur les promesses du futur, la musique de « Triveni » – une région du Népal où se réunissent trois rivières sacrées, et aussi une forme poétique hindi proche du tercet – n’a rien, malgré ces références, d’un jazz qui ne ferait que se rejouer lui-même en ses âges d’or. La rythmique profonde et puissante assurée par Nasheet Waits et, sans surprise, par Omer Avital, connaît aussi bien ses classiques que de plus récents développements électroniques passés par un tamis fin et subtil.

Sur trois pieds qui maintiennent solidement l’équilibre interviennent, sans briser l’assise, simultanément ou chacun leur tour, le piano (parfois électrique) de Gerald Clayton et la clarinette d’Anat Cohen (soeur du trompettiste), qui entraîne la trompette dans un jeu fraternel du plus bel effet. Pas scolaire pour deux sous, Avishai Cohen récite son jazz tout autant qu’il l’invente avec une nonchalance élégante, sachant faire oublier sa maîtrise et séduisante en diable.