Scènes

Sheila E au New Morning

Sheila E, « ICON TOUR 2013 » au New Morning (Paris, 8 novembre), ou L’A, B, A, B, C, D de la syncope chaloupée caliente.


Sheila E, « ICON TOUR 2013 » au New Morning (Paris, 8 novembre), ou L’A, B, A, B, C, D de la syncope chaloupée caliente.

Étrange parcours, et fort sous-estimé, que celui de Sheila Escovedo. La flamboyante fille de Pete avait de qui tenir, et s’est essayée avec succès aux plus grands du jazz, du jazz-rock, du R&B et du funk ; mais on retient surtout le milieu des années 80 et ses prestations scéniques et discographiques avec Prince, d’abord pour quelques duos avec le maître, puis trois albums co-écrits, chanté et produits par lui, The Glamourous Life et surtout le superbe Romance 1600. Suivront surtout les tournées Sign O’ The Times et Lovesexy où la batteuse et percussionniste devient un sex-symbol, au même titre que deux autres « Prince’s girls », Lisa Coleman (piano) et Wendy Melvoin (guitare)… Mais elle est aussi la directrice musicale du groupe sur scène (et, du reste, patronne et productrice de maints autres groupuscules et branches foisonnantes de la saga Prince).

Elle a toutefois su prouver qu’il y avait une vie sinon après, du moins à côté de « L’Homme-Naguère-Baptisé-Prince », avec un album solo, Sex Cymbal, puis d’autres, épisodiquement - hélas entrecoupés de problèmes de santé, de crises mystiques, de remises en cause personnelles - et une activité malgré tout foisonnante [1], moult passages sur scène, de nouveau aux côtés de Prince, mais aussi de Ringo Starr, Gloria Estefan, etc, la création - éphémère - d’un nouveau groupe finement nommé C.O.E.D., pour « Chronicles Of Every Diva », et jusqu’à une incursion dans la country music…

Aussi, pour son retour sur scène à l’occasion d’une tournée en 2012 [2], et l’annonce d’un nouvel album, Icon, on l’attendait un peu au tournant. D’où tension, trac, émotion, indécision perceptibles, quelques secondes seulement, avant d’entrer en scène, toute de blanc vêtue, et non sans quelques croix – boucles d’oreille, sangle de guitare. La « Sex Cymbal » serait-elle devenue bonne sœur ? On est vite rassuré : les yeux restent de braise et la voix, timide au début (mais après tout, ça n’a jamais été son point fort), s’affermit bien vite. Elle enchaîne classiques et nouveaux titres en démontrant sa qualité première, évidente : la faculté toute « Princière » (voire « Zappaïenne ») de passer du binaire au ternaire, de la ballade (parfois un peu niaiseuse, tel « Lovely Day ») au funk, du chant à l’instrumental (le solo de « Butterfly »), du R&B au gospel et au rap en passant par la salsa muy caliente.

On aura ainsi droit après l’intro (« Give me a A, Give me a B… ») à l’inévitable « Love Bizarre », si chaud qu’on s’attendait à tout moment à voir un petit bonhomme de Minneapolis jaillir des coulisses pour lui donner la réplique, mais aussi à ses équivalents récents : « Leader of the Band », et à toute une série d’interventions lui permettant de s’exprimer au micro (« Koo-Koo »), à la basse, la guitare, la batterie, les timbales, les bongos (sa spécialité, indéniablement) ; d’où maints retours à la pure salsa – (« Mona Lisa », single du nouvel album). Tout cela sans interruption, à part quelques incises d’auto-promotion pour l’album [3] et de confession intime. En effet, Sheila E. annonce au passage la rédaction de son autobiographie ; et elle en aura, à raconter… Ce qui nous mène à « Who I Am Now », séquence émotion comme on dit à la télé, moment Mylène Farmer (!) où elle y est allée de sa petite larme, n’a pu dépasser le premier couplet et, après trois essais, s’est rabattue sur un cathartique et vigoureux solo de bongos (c’est quand même là qu’elle est la meilleure, toute batteuse, percussionniste, timbaliste, bassiste, guitariste et chanteuse qu’elle soit – et productrice de disques, aussi…).

Autre moment intense, outre un « battle » obligé avec l’impeccable batteur Chris Coleman (avec baguettes ou à mains nues), un autre, plus original et donc mémorable, à la basse avec Raymond McKinley… Il faut dire qu’elle a su s’entourer ; on notera le travail impeccable de Mike Blankenship aux claviers, hélas mixé un peu trop en retrait), surtout avec les
trompette et trombone trafiqués et le soutien au synthé de Joel Behrman, capable de pallier l’absence d’Eddie M. Minnifield au sax et de rappeler le Larry Williams de la grande époque - aidé de ses synthés, une section de cuivres à lui tout seul. Du reste, on notera ici le rôle essentiel tenu par les synthés, boucles et chœurs en play-back, indispensables (hélas !) vu la taille réduite du combo.

Comme pour tout concert de lancement (du premier CD depuis plus de dix ans !), tout n’est pas parfaitement rodé, mais la belle sait toujours groover et le public, tout acquis, est là pour la soutenir et chanter en chœur de bout en bout - d’ailleurs, elle en en paraît presque surprise… à moins que ce ne soit une coquetterie ?. Alors peu importe finalement si, en juger par les quelques titres découverts ce soir, Icon ne promet pas d’être aussi… iconique que Romance ou Glamorous. À bientôt 56 ans, Mme Escovedo a encore de la ressource.

En première partie, le Français Berny Craze, bonne surprise malgré un début incertain (il se la joue débutant sympa et c’est un peu lourd), a su révéler peu à peu son jeu de guitare quasi hendrixien (version droitier) et mettre - hélas trop peu - en valeur une voix de ténor puissante et suave. Mais pourquoi s’entête-t-il à chanter en demi-teinte molle comme ses comparses Tété ou Corneille ?


Sheila E. Icon (Discograph)

par Jean Bonnefoy // Publié le 2 décembre 2013

[1Essentiellement la production d’autres artistes, l’organisation d’événements, la création d’une fondation pour les enfants victimes de sévices sexuels.

[2Un DVD d’un concert en Suisse, à Lugano, en est l’illustration parfaite.

[3Et pour le vinyle spécial qu’on ne peut se procurer qu’au concert.