Chronique

Maya Dunietz

Free the Dolphin

Maya Dunietz (p), Amir Bresler (d), Barak Mori (b) + Avishai Cohen (tr), David Lemoine (voc)

Label / Distribution : Raw Tapes

Premier disque de jazz sous son nom, Free the Dolphin est une surprise comme il en arrive parfois. Inattendu, le disque se pose comme une évidence et attire tous les regards. Il faut dire que Maya Dunietz, ici au piano et à la composition, propose un bel objet avec une esthétique léchée et une production supervisée par Rejoicer. Raw Tape, label de Tel Aviv, édite ce répertoire en vinyle et en numérique uniquement.
L’équipe israélienne autour de la pianiste est composée du batteur Amir Bresler et du bassiste Barak Mori. Sur « Oddeta », le trompettiste Avishai Cohen vient poser quelques mélismes bien acidulés dont il a le secret. Avec six titres seulement, ce court album marque par la fraîcheur et l’approche inhabituelle de la musique.

Maya Dunietz a l’habitude des scènes de jazz et musiques improvisées, notamment avec le trio qu’elle forme avec Steve Noble et John Edwards ou lorsqu’elle se produisait en duo avec Ghédalia Tazartès. Ici, c’est beaucoup plus cadré, plus classique. Pourtant, il s’en passe, des choses !

Tout au long du disque, Maya Dunietz joue avec les codes des musiques qu’elle connaît, celles du bassin méditerranéen, celles d’Éthiopie [1], celles du jazz classique et ses pianistes comme Monk, Jamal et même Jelly Roll Morton.
« Opus 1 » s’ouvre avec une mise sous tension qui rappelle le maqam et qui trouve sa résolution après une sorte de mélopée mouillée et répétitive. Aussi sur « Shtyner » c’est, en plein milieu d’une phrase tout en ruptures mélodiques, un écart stride et ragtime non dénué d’humour qui évoque les figures historiques. C’est ensuite une version en solo du standard « Lover Man » aux accents monkiens que dévoile Maya Dunietz, en confiance et retenue.

Les autres morceaux ont tous cette faculté de jouer avec les silences, avec un temps long et étiré, avec les couleurs et ils changent de forme et de sens à chaque instant, comme les reflets des vagues sur l’océan.
Pour finir, ultime pied de nez humoristique et politique, le chanteur français du groupe Cheveu, David Lemoine, vient déclamer sur « Wine of Love » un poème qu’il introduit d’abord par une sorte de portrait chinois de son auteur sur une rythmique bancale et synthétique. Un poème qui parle de le l’ivresse de l’amour et qui est signé de l’ayatollah Khomeiny…
Free the Dolphin conjugue l’humour, la surprise, le talent, l’histoire et la beauté. Plus qu’un bon disque, c’est un disque rare.

par Matthieu Jouan // Publié le 13 juin 2021
P.-S. :

[1Elle est la pianiste qui joue, transmet et fait vivre les compositions d’Emahoy Tsegué-Mariam Guèbrou.