Scènes

BB 2010 : Pablo, Federico, Beñat et Denis

Beñat Achiary et son « Poète à New York » en formation resserrée, d’une part ; Denis Colin et les Arpenteurs au grand complet, de l’autre. La salle Pablo Neruda de Bobigny accueillait Banlieues Bleues le 30 mars 2010.


Si l’on coupe au plus court depuis la sortie du métro, le trajet à pied jusqu’à la salle Pablo Neruda est plutôt du genre glauque. Mais dedans, c’est résolument chaleureux. A la buvette, on vend des empanadas chiliennes : l’auteur du Canto General était aussi un fin gastronome [1], et Banlieues Bleues assure côté musique.

Denis Colin © H. Collon

Belle affiche pour cette soirée du 30 mars avec deux concerts qui attiraient des publics différents : une partie de la salle était venue pour « le Basque » (sic), l’autre pour les Arpenteurs ; certains étaient là pour les deux. Comme toujours en pareil cas, il y a dans chacun de ces publics deux sous-ensembles : ceux qui viennent avec les oreilles et l’esprit ouverts et ceux qui se bardent d’a priori, ceux qui n’arrivent qu’après la première partie, ceux qui quittent la salle à ce moment-là pour ne pas risquer d’entendre l’autre, ceux qui jugent sans avoir entendu, ceux qui viennent pour ne pas aimer… Tant pis pour eux.

Poète à New York, en première partie, nous était présenté dans une formation plus compacte que lors de sa (re)création l’été dernier à Errobiko Festibala. Pas de danseurs, et un simple quartet : Beñat Achiary (chant et percussions), Michel Queuille (piano), Pedro Soler (guitare) et Kahil El’Zabar (batterie, percussions).

Avec cette formule, l’œuvre de Federico Garcia Lorca [2] est invoquée de façon moins monumentale, sans mise en scène autre que la disposition du quartet. On n’ira pas jusqu’à parler de sobriété - le mot sied mal aux flamboyances vocales de Beñat Achiary - mais elle nous apparaît plus proche et plus directe sans décor et sans danse. De très beaux moments (“All Blues” qui émerge lentement du piano de Michel Queuille comme une statue de la Liberté sur l’Hudson embrumé, ou les tambours africains de Kahil El’Zabar et Beñat Achiary), d’autres moins réussis (les passages de guitare flamenca, un peu chiches et manquant singulièrement de flamme, ou “Strange Fruit”, qui appelle décidément une interprétation plus glaciale/glaçante) ; somme toute, un concert agréable mais pas aussi habité qu’on aurait pu le rêver. Il est vrai que Beñat Achiary nous a donné de mauvaises habitudes : on attend de lui des prodiges à chaque concert.

Beñat Achiary © H. Collon

Changement radical pour le second concert avec, cette fois, les huit musiciens de la Société des Arpenteurs plus leur invité préféré, Tony Malaby. Comme Denis Colin vient d’effectuer une résidence à Bobigny dans le cadre du festival Banlieues Bleues, il nous gratifie en début de spectacle d’un inédit, tout chaud sorti de son fournil personnel : cela s’intitule « Ouverture définitive » et c’est du concentré de Colin : titre astucieux, rythmique acérée, sens de la mélodie faussement simple et des phrases qui se coupent là où on ne l’attend pas, arrangements au cordeau, plus un solo qui vous fait imaginer Jimi Hendrix à la clarinette basse…

Suivent les thèmes de l’album Subject to Change, l’un des plus intéressants parus ces derniers mois. Ne revenons pas sur la superbe musique qui est jouée ; parlons plutôt de la qualité de l’ensemble et de ses composants. Si Malaby paraissait, ce soir-là, un peu moins impliqué que sur le disque - ou peut-être simplement en léger retrait par rapport à cette machine à groove qu’est la Société des Arpenteurs -, on relèvera notamment, en s’excusant de ne pas les citer tous, l’extrême présence et la pertinence de Sylvaine Hélary aux flûtes, le formidable travail de Julien Omé à la guitare, autant dans les stridences que dans de longs passages rythmiques où, cordes étouffées, il rejoint les sons et la fonction d’un n’goni africain, et, sur le bis, un étonnant solo de batterie d’Eric Echampard, décalé à souhait, plein d’humour, le contraire du « je-suis-batteur-et-j’en-mets-partout », et pourtant… ça tourne.

Banlieues Bleues en banlieue rouge… on en a vu de toutes les couleurs, et c’est bien ce qu’on venait y chercher !

par Diane Gastellu // Publié le 3 mai 2010

[1Saveurs de Hongrie, co-écrit avec Miguel Angel Asturias, en est la délicieuse illustration.

[2Dans sa traduction française parue chez Gallimard.