Scènes

Denis Colin trio/Gwen Matthews, Jazz à La Villette 2006

Denis Colin, un des solistes français les plus “excitants” du moment…


Cette soirée du 8 septembre 2006 au Trabendo n’était sûrement pas la plus médiatisée de Festival Jazz à La Villette, elle n’en fut pas moins intéressante, grâce, notamment, aux solos intenses de Denis Colin.

C’est devant une salle très sage et bienveillante que Denis Colin, chevelure romantique, Pablo Cueco, barbe fleurie, et Didier Petit, faux airs de John Kerry, entrent en scène, réservés et concentrés. Sans transition, ils commencent, sans Gwen Matthews, par une interprétation d’un morceau de Sonny Rollins.

Immédiatement, trois styles s’imposent et se distinguent : timidité, modestie et yeux clos pour le clarinettiste ; le second, les yeux grand ouverts, se montre sérieux et consciencieux ; expressivité, décontraction et yeux fermés caractérisent le dernier. Sur ce morceau introductif, comme sur l’autre « non-reprise » du set, la qualité de « crescendo » du trio éclate au grand jour : c’est avec beaucoup de finesse que les passages calmes laissent place aux moments enragés. D’autre part, sur scène, la complémentarité entre les trois jazzmen est criante : chacun, grâce à la tessiture de son instrument, peut passer en quelque sorte à « la basse ». Didier Petit, par exemple, joue avec toutes les possibilités de son violencelle : à l’archet, en tant que contrebasse et même comme « guitare » sur « Ohio ». De ce fait leur musique apparaît toujours très claire et hiérarchisée. Personne ne cherche à se mettre en avant. La modestie est un des maître mots du trio, peut-être même trop : Colin ou Cueco entament leurs solos presque sur la pointe des pieds.

On peut regretter la maladresse des premiers morceaux chantés du set (« Four Women » décevant par rapport à l’album Songs for Swans). La reprise de Can donne une impression de tâtonnement, et le vague sentiment d’être témoin d’une répétition, avec les bons et les mauvais côtés de la chose : avoir la chance d’assister à l’intimité créatrice de musiciens mais, de l’autre côté, ne pas les sentir à même de créer une ambiance. « Sing Swan Song » partait pourtant très bien, mais il a suffit de quelques instants d’inattention pour que les musiciens ne jouent plus « ensemble », avortant une prestation de G. Matthews qui s’annonçait pourtant habitée. Après ce moment d’égarement, le concert prend enfin une certaine allure avec un enchaînement de haute volée : « Rags and Bones », « African Mirage », et « Theme of Yoyo ».

G. Matthews, pour sa part, arboredes lunettes colorées et une surprenante crête rouge. Un ton au-dessous en début de concert, elle gagne progressivement en profondeur et en aisance, pour enfin sublimer les morceaux d’Albert Ayler et Neil Young.

Naturelle et vive, elle est l’envers d’un Colin. Si ce dernier n’est, en effet, pas très à l’aise avec les mots, il l’est beaucoup plus avec ses notes, au point que la musique de son trio (plus une diva), quand elle est réussie, brille d’une évidence rare. A chaque intervention du clarinettiste, il se passe « quelque chose » : son instrument, s’il se rapproche du jeu d’un Louis Sclavis, prend de temps à autre des couleurs coltraniennes. Et une fois l’osmose trouvée, le trio parvient à faire naître quelques instants de grâce comme sur les reprises de N. Young et d’Albert Ayler ou sur « Rags and Bones ». Et si Didier Petit se met à chanter, ou lorsque les autres musiciens entament des chœurs maladroits, il est difficile de ne pas être attendri devant une telle sincérité. C’est encore par le chant que l’ambiance réussit à se réchauffer : il a fallu une G. Matthews, dans le rôle de maîtresse de cérémonie, pour dérider le public en le faisant entonner, en rappel, un « Crosstown Traffic » déchaîné.

Le public du Trabendo n’a probablement pas assisté ce soir-là au meilleur concert du trio, mais à ce genre de prestation qui vaut le déplacement : cette musique nous « rend meilleurs », en quelque sorte, et s’installe durablement dans un coin de notre oreille : un concert qu’on est content d’avoir « en tête ». Tout n’était pas parfait, mais on quitte la salle avec le sourire et la certitude d’avoir vu jouer un très grand musicien.

par Mathieu Durand // Publié le 16 octobre 2006
P.-S. :

NB : Les concerts de l’édition 2006 de Jazz à La Villette ne sont pas illustrés, les conditions dans lesquelles les photographes sont de plus en plus souvent contraints de travailler dans certains festivals ne leur permettant pas de respecter leurs propres exigences de qualité.
(La rédaction)
Pour réagir