Chronique

Strønen / Tanaka / Lea

Bayou

Marthe Lea (cl), Ayumi Tanaka (p), Thomas Strønen (dms)

Label / Distribution : ECM

En plus de jouer à s’écouter, ces trois-là font alliance avec le silence. C’est leur premier maître. Il naît de ce pacte (étrange pour des faiseurs de sons) un sens du phrasé, du poids de chaque mot ou de chaque phonème, impressionnant. Dès les premières secondes d’écoute, on laisse entrer une élégance rare. Bayou, comme son titre ne le précise pas, n’a pas du tout été inspiré par le Mississippi américain mais par le mécanisme lent de formation d’une rivière.

Il réunit donc trois Norvégiens qui comptent sur la scène actuelle : Thomas Strønen, batteur entendu par exemple aux cotés de Nils Petter Molvaer et Mats Eilertsen toujours chez ECM, la diaphane et ensorcelante Ayumi Tanaka, pianiste prodige au toucher tellement souple et doux qu’il semble sans effort, et la jeune clarinettiste Marthe Lea, plus ancrée dans les musiques traditionnelles, qui donne ici de la voix, sur le titre éponyme, dans lequel se sont lovées les paroles d’une berceuse.

Au fur et à mesure des morceaux, on se dit que les mains de chaque musicien sont reliées au corps de l’autre. Et l’on est surpris de constater que cette alchimie de sons venus de trois matières différentes se produise d’une si douce manière. Décidément, comme naît une rivière. Il semble ici que l’on capte le son lorsqu’il se forme, au plus près, ou plus pur de sa forme. La légende (vérifiée) dit que cet album n’a nécessité qu’une première et seule prise, au studio de Lugano, entre trois montagnes suisses. S’il fallait encore prouver la naturelle évidence qui émane de ce trio.

Pour avoir assisté à deux reprises à l’un de leurs concerts et pour avoir longtemps écouté cet album, nous affirmons que la magie, une forme de lévitation ou de mirage selon que l’on soit porté sur les sensations physiques ou visuelles, opère à chaque fois. « Bayou » est simplement l’un des albums les plus remarquables de l’année.

par Anne Yven // Publié le 12 septembre 2021
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