Chronique

Eve Risser Red Desert Orchestra

Eurythmia

Label / Distribution : Clean Feed

En 2014 il était déjà questions de versants qui se regardent, selon le titre de l’album de son White Desert Orchestra. Harmoniser des forces naturelles bien qu’antagonistes est central dans la musique conduite par Eve Risser. La pianiste et cheffe d’orchestre originaire des Vosges donne une fois encore toute sa dimension percussive au piano et laisse les vibrations venues d’Afrique de l’Ouest s’y agréger. Il s’agit de rencontre et non de fusion du jazz avec d’autres traditions. Les identités ne se confondent pas, elles doivent s’entrelacer. La musique proposée dans Eurythmia du Red Desert Orchestra naît de la rencontre de musiciens et musiciennes européen.ne.s avec des musiciennes maliennes et burkinabées. Ils sont douze en tout et chacun apporte sa couleur. Cette musique est une peinture.

Ce deuxième programme après « Kogoba Basigui » (né de la rencontre de Eve Risser avec la griotte star malienne Naïny Diabaté) se différencie par une énergie plus diffuse et plus douce. On y écoute et observe l’influence que les rythmiques répétitives luxuriantes, étirées, libres, mélodiques ont sur l’écriture de Risser. « Gamse » en est un bon exemple. Dans son introduction ludique et légère, le piano préparé est secondé par la basse de Fanny Lasfargues, puis la ritournelle du balafon crée une rampe de lancement pour les soufflants, trombone en tête, suivi des saxophones de Sakina Abdou et du fidèle Antonin-Tri Hoang. Ils pourraient être épiques, ils font place aux échappées syncopées du piano. Cette musique est une comptine qui se transformerait en roman-fleuve.

Ici tout démarre comme un jeu qui embarque la gravité sans effort apparent, pour finir dans un rire. Car, bien consciente d’appartenir au jazz européen, c’est posément que la pianiste incorpore d’autre modes d’exécution de la musique dans des thèmes qu’elle emprunte parfois au passé. Sans recours à l’écriture dans la composition collective, qui s’est donc faite oralement, il s’agissait de respecter les temps de travail et d’assimilation de tous. « Se payer le luxe du long terme ». C’est ainsi qu’Eve Risser présente le processus créatif de cet orchestre né il y a des années. Le titre « Soyyaya » est un réarrangement de la pièce « Après un rêve ». Cette musique est un miroir.

Les cadences s’enchaînent et s’emboitent le pas. Au-delà du mélange des couleurs, les titres donnent à entendre plusieurs façons de concevoir le rythme. Cette polyrythmie produit cependant parfois quelques longueurs. Par exemple sur le titre éponyme de l’album, balafons, djembés, percussions et claviers s’étirent sur plus de 11 minutes mais peu de variations. A moins qu’il ne s’agisse de marier les musiques répétitives des continents africain et américain. Quoi qu’il en soit, il faut lâcher prise. Il est question de transe. Cette musique est une invitation à la danse.

L’album contenant peu de plages calmes, on vit l’« Harmattan (Dry wind from Sahara) », dans lequel le baryton sonne tel le filet d’eau d’une source, comme une superbe invitation à respirer et observer. Cette musique, ce sont aussi des paysages.

« Cet orchestre, c’est une aventure humaine folle qui transpire dans la musique » dit Eve Risser. En ces temps de rassemblement à nouveau autorisés, la pianiste n’est pas la seule à embrasser les musiques du continent africain pour faire chauffer la piste (on pense au projet KUTU, de Théo Ceccaldi, dans un autre genre). Alors, que les auditeurs transpirent et que la chaleur douce l’emporte. En passant du blanc au rouge, il est rare que rien ne bouge.

par Anne Yven // Publié le 2 octobre 2022
P.-S. :

Eve Risser (composition, piano, prep piano, voc, Antonin-Tri Hoang (sax alto, synth Roland SH101), Sakina Abdou (sax ténor), Grégoire Tirtiaux (sax baryton, carcabas), Nils Ostendorf (tp, synth Korg MS20), Matthias Müller (trombone), Tatiana Paris (elg,voc), Ophélia Hié (balafon, bara, voc), Mélissa Hié (balafon, djembé, voc), Fanny Lasfargues (b), Oumarou Bambara (djembé, bara), Emmanuel Scarpa (dm)