Scènes

Bourne/Davis/Kane Trio à Jazzycolors 2012

L’aventureux et stimulant Bourne/Davis/Kane Trio nous emmène avec brio et subtilité vers les rives du jazz contemporain expérimental, tendance free et engagé.


L’aventureux et stimulant Bourne/Davis/Kane Trio nous emmène avec brio et subtilité vers les rives du jazz contemporain expérimental, tendance free et engagé.

En ce mois de novembre, le festival Jazzycolors se poursuivait dans les instituts culturels parisiens de dix-sept ambassades européennes. Cette fois c’est le Centre culturel irlandais à Paris, rue des Irlandais, à deux pas du Panthéon, sur les hauteurs de Sainte-Geneviève, qui accueillait ce stimulant concert du trio Matthew Bourne (piano, sampler), Steve Davis (batterie, percussions) et Dave Kane (contrebasse) pour un jazz contemporain, expérimental tendance free, et pleinement engagé.

Matthew Bourne © Emmanuelle Vial

Ces musiciens n’ont joué ensemble qu’une seule fois en région parisienne, dans le cadre de Banlieues bleues [1] ; ce soir, apparemment, ils sont enchantés par l’écoute attentive qui règne dans l’auditorium. S’ils ne jouent pas très souvent ensemble, ils se retrouvent régulièrement au sein de ce trio inventif et ont enregistré plusieurs albums dont, en 2010, Money Notes - dont on retrouve parfaitement l’univers personnel ce soir. De courtes pièces s’enchaînent, l’une durant même quelques dizaines de secondes à peine, et sur un seul accord ou peu s’en faut [2] qui, au départ harmonisées, partent peu à peu vers le « out », le « dérythmé ». Toujours un peu de surprise, beaucoup de spontanéité et d‘immédiateté ; mais aussi de l’humour allant parfois jusqu’à l’éclat de rire… car les musiciens sont en permanence très au contact du public. Même quand certains - sans doute venus écouter un jazz moins aventureux - quittent la salle…

Tous trois semblent partir d‘une idée ou d’une contrainte, puis déployer rapidement leurs séquences ; aussi les improvisations ne sont-elles jamais ni pesantes ni ennuyeuses ; logiquement, l’attention de l’auditeur, ainsi stimulée, demeure constamment en éveil. Ils utilisent par exemple, en guise d’introduction, un petit thème désuet façon comptine, pour conclure sur une impro débridée qu donne l’impression d’être intensément vécue et se traduit parfois par une pièce « cool », légère et sans tension.

Très impliqué, Matthew Bourne (qui joue en chaussettes), fait preuve d’une énergie débordante ; il trouve même le moyen de se blesser en grattant les cordes et la caisse intérieure du piano, lequel est préparé moyennant tout un attirail qu’il se met à secouer comme un flipper… (sans tilt !). Mais il sait aussi jouer tout en retenue et se montrer très économe, voire magnifiquement minimaliste. [3]. Le contrebassiste, lui, coince parfois son archet dans ses cordes pour produire un effet de roulement et de frottement. Il parvient même à imiter l’oud ! Quant au batteur, expressionniste et paysagiste, il dispose d’une mini-charley d’à peine 15 cm de diamètre. A l’occasion, tous trois donnent de la voix et ce sont alors des onomatopées, interjections et autres « bougonnages »…

Dave Kane & Steve Davis © Emmanuelle Vial

On a donc là un trio expérimental très concentré, qui se lance dans chaque morceau avec un propos et une idée précis à défendre. C’est free mais jamais lourd - certaines pièces sont même extrêmement délicates et développés tout en sensations, sans se priver de notes évanescentes. Encore une belle découverte, grâce au choix judicieux de la programmation du festival Jazzycolors, à revoir dans quelque club ou salle à Paris…

par Emmanuelle Vial , Pascal Mongénie // Publié le 22 novembre 2012

[1En 2008, en première partie de Medeski, Martin & Wood.

[2Money Notes compte d’ailleurs 22 pistes.

[3Il convient de souligner ici ses collaborations avec le facétieux saxophoniste Laurent Dehors dont les Chansons d’amour se sont récemment vu décerner un ELU Citizen Jazz.