Chronique

Carla Bley - L’inattendu-e

Sous la direction de Ludovic Florin

Label / Distribution : Naive

De passage à Toulouse le 26 avril 2012, où elle se vit honorée du titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de Toulouse-Le Mirail, Carla Bley a laissé dans son sillage une mobilisation générale (à moins qu’elle n’en ait été la cause en amont !) dans la cité des violettes : Ludovic Florin et Jean-Michel Court y sont en effet enseignants, et le premier a conçu et dirigé ce livre. Soit cinq parties et deux annexes, avec pour commencer l’interview de la dame réalisée le 6 octobre 2011 par Alex Dutilh à Woodstock, puis une bio-discographie très détaillée par Jean-François Mondot et Ludovic Florin, le « making-of » d’Escalator Over The Hill par Carla Bley elle-même, et pour finir deux études, l’une sur l’humour dans la musique de Carla Bley (par Jean-Michel Court) et l’autre sur les erreurs fécondes de la musicienne, de nouveau par Ludovic Florin.

Avec une discographie bien venue, de superbes photos, des documents choisis, ce livre fort bien imprimé a très belle allure. Il n’a été possible que grâce à l’aide de nombreuses personnes, au premier rang desquelles Karen Mantler (fille de Carla et de Michael Mantler, son deuxième époux) et, bien sûr, le fidèle Steve Swallow. Ce qui excite le plus le lecteur, convaincu depuis l’époque de sa parution qu’Escalator Over The Hill est une oeuvre majeure du XXe siècle, c’est le « making of » annoncé, par Carla Bley elle-même. Et là, relative déception : notre compositrice a écrit (ou dicté) ce récit dans l’immédiat après-coup de la réalisation de cet opéra (ou chrono-transduction), il a été publié en 1976, cela reste un document précieux mais on la sent encore dans la confection de l’œuvre et elle se perd (et nous perd) parfois dans de nombreuses digressions, mélangeant les problèmes d’argent, de disponibilité des uns et des autres et de configuration des studios. Normal. Mais on aurait aimé une vision plus distanciée, qui restitue la conception de l’oeuvre - qui appartenait entièrement à la pianiste - et la façon dont elle s’y est prise pour mettre en présence les différents intervenants. Cette réserve est mineure, et on comprend fort bien qu’en 1976, Carla ait encore été porteuse de son projet avec l’immense désir de le voir aboutir et la volonté de faire savoir à quel prix tout cela avait été possible… au risque de tout voir s’effondrer à chaque moment crucial.

« L’histoire d’une chef de bande » apporte quelques éléments biographiques, mais se concentre avec bonheur sur la succession des œuvres enregistrées, en rapport avec les musiciens rencontrés, parfois aimés et épousés, parfois intégrés sur le tard à la vie personnelle de l’artiste. On va ainsi du Genuine Tong Funeral publié sous le nom de Gary Burton (mais la musique est de Carla) au fameux opéra déjà cité, en passant par la tournée avec Jack Bruce et tous les disques parus sur le label Watt, à nos jours.

Les deux études finales (sur l’humour et la fonction féconde de l’erreur) sentent joliment le travail universitaire. On ne s’en plaindra pas, eu égard à la platitude de tant et tant d’écrits « sur le jazz », mais on regrettera quand même que la passion qu’il aura fallu mettre en œuvre pour aboutir à pareil livre ne soit pas aussi, parfois, au rendez-vous de l’écriture…

par Philippe Méziat // Publié le 7 octobre 2013
P.-S. :

Collection Jazzland, Naïve Livres, 159 pages, 28 euros