Chronique

Cécile Duval et Guylaine Cosseron

Démesurément moyen

Cécile Duval (voc) Guylaine Cosseron (voc)

Label / Distribution : Le Petit Label

Remarqué à l’occasion du festival La Voix est libre en 2011, ce duo uniquement lesté de deux micros propose, avec Démesurément moyens [1], de libérer les mots pour faire de chaque phonème, de chaque son, une miniature poétique. Rencontre de deux voix singulières autour d’esprits frappeurs de la poésie contemporaine, de Charles Pennequin à Gherasim Luca, la comédienne Cécile Duval et la vocaliste Guylaine Cosseron jouent avec la structure même du texte. Elles en extraient la musique intime à force d’abrasion et d’effleurements, d’influx et de transmutations. Le timbre théâtral de la voix parlée impose au texte des rythmiques insolites et humoristiques là où la voix chantée fulmine. Ainsi dans « Mots croisés », de Pennequin, les mots-valises lardés de populisme chers aux baudruches médiatiques prennent un sens bien particulier quand le désordre syntaxique en accentue le ridicule.

Les râles, répétitions, souffles et bribes mis à nu par Cosseron tendent le fil de l’improvisation sur lequel Duval se lance en prenant le texte au corps. On connaît Guylaine Cosseron pour sa participation au trio LAC en compagnie de Sophie Agnel et Soizic Lebrat, mais aussi pour Avant les mots, son disque précédemment paru sur le même Petit Label. On perçoit l’influence de musiciens comme Phil Minton (« la société est un puzzle »). Elle apporte du relief à cet exercice beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à l’oreille distraite et qui renvoie, notamment sur le remarquable « Droit dans le mur », à la grande tradition du Spoken Word. Ce texte rappelle que Pennequin a travaillé avec Jean-François Pauvros et qu’il écrit en parfait rythmicien, mais souligne surtout que ce duo sait faire danser une phrase, même dans la nudité de la voix.

On regrette parfois que dans le cours de l’improvisation commune, la voix parlée savonne un peu, mais cela laisse de la place à l’imprévu - on pense notamment dans « Démenons-nous », à l’intensité verbale des improvisations de Joëlle Léandre, la contrebasse en moins. Une dimension musicale, distincte des voix, qui manque d’ailleurs à ce disque. Celui-ci reste néanmoins une joyeuse découverte qu’on ne peut que conseiller d’aller apprécier sur scène.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 mars 2013

[1Le titre a en réalité 3 « r », comme un grognement.