Scènes

Joëlle Léandre prend Duchamp

Joëlle Léandre, Guylaine Cosseron et Antoine Berland rendent hommage à Marcel Duchamp


Joëlle Léandre a connu une révélation avec Duchamp : liberté, persévérance dans ses idées, humour, création instantanée et surtout théorisation et mise en pratique de tout cela. Alors, lorsqu’à Rouen, Duchamp dans sa ville a lancé les festivités pour célébrer les 50 ans de sa disparition, il semblait presque naturel que l’archet de la contrebassiste symbolise une forme de relais. Ainsi la voilà, dans cette jolie salle de la Maison de l’Université de Mont-Saint-Aignan, avec Rouen littéralement à ses pieds (c’est en haut de la falaise), entourée d’une vieille connaissance, la vocaliste Guylaine Cosseron ; et d’un régional de l’étape, le pianiste Antoine Berland.

Duchamp appelle à l’évidence au happening ; alors le trio se lance sans round d’observation dans une musique qui cherche à exploiter le moindre bruit. Cela peut être les sons de gorge fascinants de Guylaine Cosseron ou le piano rempli d’objets incongrus qui permettent d’altérer les sons des cordes, sensibles à tous les traitements, du frottement au pincement. Il y a de l’intensité dans les échanges, et une certaine complicité qui naît dans cette première rencontre autour de l’auteur des ready-mades. Certes, Antoine Berland et Cosseron travaillent ensemble depuis des années, mais c’est collectivement que les liens se tissent. La chanteuse, qui déclame également un poème en laissant beaucoup d’espace à ses compagnons, se place de fait dans le rôle central de trait d’union. Elle est aussi génératrice de fantaisie, celle par qui le décalage arrive. Le personnage pataphysique d’une pièce de Ionesco qui s’écrirait devant nous.

Antoine Berland, Joëlle Léandre, Ghylaine Cosseron © Franpi Barriaux

On s’en aperçoit au premier couvercle de camembert. D’un geste auguste, les deux improvisatrices lancent des boîtes dans le capot ouvert du piano préparé. Dame ! Duchamp était rouennais ! À partir de cet évènement, les choses se découvrent, comme un masque de cire qui fondrait : Berland, qu’on entend par ailleurs hebdomadairement dans l’émission Le Cri du Patchwork sur France Musique, trouve une rythmique appartenant à lui seul dans le fatras inséré entre les chevilles et les étouffoirs de son piano. Pendant ce temps, Joëlle Léandre et Guylaine Cosseron se lancent dans une joute lyrique particulièrement brillante avant de faire une pause calva ; jouer avec les clichés et les détourner, c’est encore du Duchamp ! Et tant pis s’il n’a voulu revoir sa Normandie qu’à la fin de sa vie : la pique de la contrebasse qui va fouiller dans les galets ou embrocher des pommes a tout pour être cauchoise. C’est d’ailleurs ainsi que ça se termine : la contrebasse posée sur le meuble du piano sert de goûter à un Berland gourmand. Mangez des pommes !