Chronique

Charlie Watts

Anthology

Diverses formations avec entre autres : Evan Parker (sax), Stan Tracey (sax), Alan Skidmore (sax), Courtney Pine (sax), Harry Beckett (tp), Annie Whitehead (tb).

Label / Distribution : BMG

Il est difficile d’être un sculpteur amoureux invétéré de Giacometti et de se voir dans l’obligation d’assouvir sa passion en œuvrant dans le style de Rodin. C’est en quelque sorte avec cette forme de contradiction que vécut Charlie Watts, disparu en 2021 à l’âge de 80 ans, batteur du plus grand groupe de rock, se retrouvant régulièrement sur les scènes du monde entier face à des fans déchaînés réclamant « Sympathy For The Devil » ou « Angie » en rappel, alors qu’au fond de lui les fantômes de Charlie Parker ou d’Art Blakey ne cessaient de tournoyer.

Le jazz, matériau où l’improvisation fait exploser les carcans de la composition, le jazz capable d’absorber les influences les plus diverses pour mieux les transformer avec magnificence, le jazz peuplé de personnalités uniques et contribuant à l’émancipation d’une population afro-américaine en soif de justice sociale, le jazz où bien souvent les boppers sont tirés à quatre épingles, il y a un peu de tous ces jazz-là chez le jeune Charlie Watts qui vit pleinement la révolution du Swinging London des années soixante. L’heure est à la confrontation entre Beatles et Rolling Stones, les tournées et les disques se succèdent, le jeune batteur insuffle un style particulier au groupe de rock britannique avec une particularité : les solos ne sont pas sa tasse de thé. Loin des frasques de ses camarades de scène, il s’adonne au dessin avec une prédilection pour l’univers parkerien : il éditera d’ailleurs un ouvrage consacré au grand saxophoniste alto. Pendant ce temps, d’autres rockers atteints d’égocentrisme jettent du mobilier et des téléviseurs par les fenêtres des chambres d’hôtel ; la caravane du rock bat son plein. Les groupies et les drogues les plus diverses ne semblent pas perturber Charlie qui est fidèle à Shirley Ann, son épouse. Il marque visuellement toute une génération lorsque sort en septembre 1970 le disque live Get Yer Ya-Ya’s Out !, où il apparaît au recto joyeux, sautant en l’air à côté d’un âne chargé d’instruments de musique. Le rock lui procure alors célébrité et confort de vie mais le jazz lui permet des escapades : il enregistre régulièrement avec diverses formations, aujourd’hui réunies sur ce double album Anthology. Une question restera sans réponse : Charlie Watts aurait-il apprécié cette compilation piochée dans ses albums animés de différentes thématiques ?

Il y a une telle diversité musicale dans ce double album qu’il est difficile d’y trouver une quelconque ligne directrice ; il faut plutôt s’attacher à sélectionner les morceaux qui correspondent le plus à nos envies. Comme tous les goûts sont dans la nature, cela devient un exercice truculent. De « Stompin’ At The Savoy » exécuté en big band à une vitesse supersonique à « Bluebird » incarnant un bebop ordonné, de « Cool Blues » et « Perdido » agrémentés d’arrangements de cordes à « My Ship » un tantinet sirupeux, c’est un peu l’auberge espagnole qui s’invite dans le premier disque. La seconde galette est un peu plus alléchante, « Roy Haynes » bénéficie d’un traitement sonore électronique aventureux, « Airto » se laisse envahir par des rythmes exotiques, « What’s New » est, lui, enrichi d’un solo de trompette soutenu finement par Charlie Watts et « Take The A Train » reste bien fidèle à l’esprit du Duke. La trame du blues, souvent associée aux Pierres qui Roulent, conclut ce panorama pour le moins diversifié où apparaissent des musiciens accomplis, Stan Tracey, Alan Skidmore, Evan Parker pour ne citer qu’une poignée de souffleurs exceptionnels.

Anthology est paradoxal : les passionnés d’un jazz aventureux passeront leur chemin : a contrario, des rockers en herbe découvriront un monde musical qui les incitera à explorer de nouveaux univers. Charlie Watts aura alors réussi son pari, faire partager sa passion du jazz.