Chronique

Schubert - Uchihashi - Kugel

Black Holes Are Hard To Find

Frank Paul Schubert (as, ss), Kazuhisa Uchihashi (g, electronics), Klaus Kugel (dm, gongs)

Label / Distribution : Nemu Records

Ensorcellement des sens : le silence prend une tournure extatique lorsque les trois musiciens avancent de front. Plus que des sonorités superposées remplissant l’espace, ce sont bien les moments où la machine stoppe qui font prendre conscience de la beauté cachée du trio.

Frank Paul Schubert sait ce que dégainer veut dire, merveilleux improvisateur en petite formation. Les albums enregistrés avec Günter Baby Sommer, Paul Dunmall ou Johannes Bauer réveillent de beaux souvenirs et font de ce saxophoniste l’une des figures majeures de la scène jazz d’outre-Rhin. La rencontre avec Kazuhisa Uchihashi ne peut qu’enrichir le dialogue, la complémentarité des saxophones et de la guitare électrique procurant une tension créatrice. L’eau et le feu transcendés.
La réussite totale tient à l’équilibriste Klaus Kugel qui fait de son jeu inventif à la batterie un pont jeté avec ses deux partenaires : l’enracinement terrien est une évidence chez lui. Ses échanges avec Tomasz Stańko, Charlie Mariano ou Vyacheslav Ganelin ont laissé des traces.

La suggestion d’images est une des particularités de ce disque qui ne se révèle qu’après de nombreuses écoutes, le guitariste ayant une expérience cinématographique inspiratrice au sein du trio. Après avoir été une des figures de la Noise Music avec le groupe « Ground Zero », Kazuhisa Uchihashi a réalisé des musiques de films dans son Japon natal : « All Night Long 3 » de Katsuya Matsumura, « Shooting Star » de Hiromitsu Yamanaka et dernièrement « And So I’m at a Loss » de Daisuke Miura. Ce florilège expérimental qu’il développe avec foi l’amène à une réflexion permanente dans le déroulement de la musique de cet album.

La paire Frank Paul Schubert et Klaus Kugel développe une propension à faire et défaire un cheminement musical. Lorsque des balises apparaissent au loin, elles sont vite contournées afin non pas de faire fausse route mais d’amorcer une autoroute emplie de suggestions. Ici se crée l’improvisation dynamique.

Aux deux tiers de l’écoute de « Explosive Fast » une référence inattendue au trio Motian-Frisell-Lovano surgit telle une toile surréaliste, le rythme voulu en décalage du batteur et l’écho lancinant de la guitare arrivant à délayer une beauté hypnotique.

Expressivité sans concession : Black Holes Are Hard To Find devient un acte musical qui renvoie au génial Steve Lacy lorsque celui-ci défrichait des territoires inconnus en compagnie d’improvisateurs planétaires. Ce trio convaincant suggère la difficulté à trouver un trou noir mais mérite surtout d’être entendu de manière lumineuse sur scène.