Christelle Séry & Jérôme Descamps
Te Ti’amā
Christelle Séry (g), Jérôme Descamps (tb).
Label / Distribution : Clean Feed
On connaît, près de nous, le duo qui réunit Marc Ducret et Samuel Blaser, l’un des multiples exemples qui nourrissent une longue tradition du jazz et des musiques improvisées, le duo trombone/guitare. Il y règne nécessairement un goût pour la microtonalité et pour l’étrange qu’on retrouve pleinement dans ce nouvel attelage réunissant deux personnalités aux marges de la musique contemporaine : la guitariste Christelle Séry, qu’on a tant aimée au sein du Moger Orchestra et le tromboniste Jérôme Descamps, dont on a parlé il y a peu. Le jeu du Tahitien [1], repéré dans les annales de Circum se marie à merveille avec l’univers de la guitariste, « Reo Ti’ama » en étant le symbole. Dans ce morceau, la guitariste fait vibrer les cordes à proximité du chevalet, avec un son crissant comme du verre brisé pendant que Descamps travaille le son traînant de sa coulisse.
Une opposition de façade qui tourne vite à la communion quand la guitare s’empare d’une tournerie, un son entêtant qui frise la transe et va chercher au fond des âges. Rarement dans ce disque, Christelle Séry opte pour la raucité de l’électricité, la rage de la saturation. Même « ‘èOpti », qui tangente la colère, déchaîne davantage les éléments que la rage ; évidemment, le trombone lui aussi joue du growl et du souffle, cherche les techniques étendues à l’embouchure, mais c’est pour mieux se marier avec des cordes devenues terriennes, telluriques dans ces atolls de quiétudes où la tectonique des plaques et les vents tourbillonnants rappellent que rien n’est jamais vraiment durable. C’est le carburant de ce duo.
Car oui, bien entendu, ce charmant duo plante ses racines dans le Pacifique. Des tatouages tribaux qui ornent la pochette de ce disque paru chez Clean Feed jusqu’àu titre Te Ti’amā, qu’on peut traduire par liberté, tout est là pour faire songer à Tahiti sans jamais tomber dans les clichés surannés et les colliers des vahinés. L’appel de « Ao » est au contraire une ode à la nature, sauvage mais accueillante, tant dans le blues caniculaire de Séry que dans le jeu plein d’emphase de Descamps qui tourne vite à une communion céleste des feux du ciel et de la terre. Ce premier disque nous plonge dans un univers neuf et terriblement séduisant, joué par des musiciens qui se sont vraiment trouvés.