Chronique

Sana Nagano

Anime Mundi

Sana Nagano (vln, fx), Karl Berger (p, vib), Billy Martin (dms)

Label / Distribution : 577 Records

Repérée l’an dernier avec Smashing Humans et son ambition rock, entourée de figures du jazz transatlantique, la violoniste Sana Nagano tient peut-être avec Anime Mundi le grand disque qu’on attendait d’elle. Figure montante de son instrument, la jeune Japonaise installée sur la côte est des États-Unis avait fait l’objet d’un portrait dans nos pages ; il était question d’un trio dédié à l’improvisation. C’est avec deux de ses mentors qu’elle l’a bâti : le batteur Billy Martin, du trio Medeski Martin & Wood, et le pianiste et vibraphoniste Karl Berger que l’on avait pu entendre il y a peu avec Kirk Knuffke. Un attelage idéal pour permettre à Nagano toutes les folies, entourée d’une rythmique solide. Dans « Apocalypso », alors que piano et batterie tracent un chemin solide qui fait perdurer le climat du morceau précédent, le violon perclus d’effets agit comme s’il parlait, un langage que Berger s’approprie comme par osmose. Il y a beaucoup d’échanges entre Berger et Nagano, et ils jouent parfois à la manière de grands enfants, l’un interpellant l’autre, tentant de se prendre de vitesse agrippés à une batterie qui ne bouge pas de son objectif, roc solide et immuable.

Le rôle de Martin dans cet album est indubitablement crucial. Dans le beau « Zoomies » où le violon reprend son babil d’une autre planète, Berger s’amusant à ponctuer cette syntaxe inédite de phrases de piano complexes de plus en plus véloces, Martin échafaude une rythmique plus raffinée encore et pourtant pleine de groove. Le sentiment qui prévaut est celui de la multitude des sons qui proviennent en cascade et filent au gré d’un courant porté par les cymbales. Quand le violon parvient à reprendre le dessus, c’est pour s’offrir quelques instants solistes d’une virtuosité étonnante. Ce qui impressionne d’abord dans Anime Mundi, c’est cet espace offert à chacun des musiciens malgré le sentiment de densité alentour. A l’écoute de « Tears », alors que Karl Berger est passé au vibraphone où il est incomparable, on a ce sentiment que Sana Nagano place son violon de manière à ne pas étouffer la mécanique que développe Martin, et dans laquelle le vibraphone s’insère avec beaucoup de subtilité. On avait pu qualifier la musique de Nagano de joyeuse dans Smashing Humans, quel que soit l’environnement. C’est un sentiment qui perdure dans le présent album.

Joie enfantine de jouer, d’imaginer, d’imposer un univers, c’est peut-être ce qui relie cette musique à l’imagerie de l’Anime japonais. Car ceux qui s’attendent à des musiques de dessin animé n’y trouveront pas de référence. Peut-être, avec « Planet Kintsugi », aurons-nous quelques réminiscences de Joe Isaishi, le compositeur attitré de Miyazaki, dans le prélude de piano. Mais tel n’est pas le sujet, à peine un clin d’œil. Ce qui est intéressant ici, c’est l’incroyable dynamique qui anime le trio, et cette capacité permanente à se relayer, à se répondre et à dialoguer avec une malice qui sait céder à la poésie quand il le faut. La trajectoire de Sana Nagano pouvait sembler avec Smashing Humans celle d’une comète, tant ses influences sont multiples et imprévisibles. Avec Anime Mundi, son monde coloré et espiègle, elle s’installe durablement dans le paysage. On ne peut que s’en réjouir.